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Jean Raspail: "Ouvrir les yeux sur les mensonges"

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Entretien. L’écrivain retrace le destin hors norme du Camp des saints. Interview de Bruno de Cessole parue dans Valeurs Actuelles du jeudi, 10 février 2011

Revenant sur l’étonnante aventure de son livre, Jean Raspail raconte sa genèse comme les raisons de son audience, et confie ses ultimes convictions.

Votre livre le Camp des saints, qui est réédité ce mois-ci avec une importante préface inédite, a été publié la première fois en 1973. Comment s’est imposé à vous ce que l’on peut considérer com­me votre premier grand ro­man ?

Effectivement, j’avais publié auparavant deux romans de jeunesse qui n’avaient pas eu beaucoup d’écho, et des récits de voyage qui avaient touché un assez large public. L’image qu’ils donnaient de moi était celle d’un écrivain voyageur, qui se penchait avec intérêt et sympathie sur des peuples étrangers ou des minorités oubliées. Le Camp des saints tranchait de façon radicale à la fois avec cette image et avec la nature de mes précédents ouvrages, et même tranche avec mes romans ultérieurs. Si un livre m’a été « donné » ou « inspiré », ce fut bien celui-là, encore que je n’accorde pas une considération particulière à la notion romantique de l’écrivain « mage et prophète »…

On m’avait prêté une villa au bord de mer, dans le Midi. De la pièce que j’avais choisie pour écrire j’avais une vision à 180° sur l’horizon. Un jour que je contemplais cette vue idyllique, je me suis dit : « Et s’Ils arrivaient de la mer ? » Je me suis vu à la place du vieux professeur qui, du haut de sa terrasse, aperçoit dans sa longue-vue une armada de rafiots en ruines avec leur cargaison d’émigrants misérables rêvant à la Terre promise de l’Occi­dent.

 Je n’avais aucune idée de ces « Ils », et pas davantage des personnages du roman, de l’intrigue et moins encore de sa fin. J’ai commencé à écrire, sans aucun effort, ce qui ne m’était pas naturel, et deux ans plus tard le livre était achevé. Le titre m’est venu de la lecture de l’Apocalypse, du chapitre 20, qui annonce qu’au terme de mille ans, des nations innombrables venues des quatre coins de la Terre envahiront « le camp des saints et la Ville bien-aimée ».

En aucune façon vous n’avez été sensible à la pression de l’actualité ?

Nullement, car on parlait peu à cette époque des flux migratoires. C’est sous la présidence de Giscard qu’a été inaugurée la politique de regroupement familial, qui a généré ces flux. Le Camp des saints ne fait pas référence à une communauté précise d’émigrants. Il n’est question ni des populations du Maghreb ni de l’Afrique, et aucunement d’une communauté religieuse particulière.

Les migrants que j’évoque représentent le tiers-monde dans son ensemble. Si je les appelle les « gens du Gange », c’est que l’idée de multitude innombrable était liée dans mon esprit au continent indien. Quant à l’armada de bateaux hors d’âge sur lesquels ils embarquent, il s’agit d’une réminiscence de l’Exodus et aussi du phénomène plus récent des boat people, à cette exception près que les raisons de l’exode de ces derniers étaient politiques.

Quelles ont été les réactions de l’éditeur à la réception de votre manuscrit, puis de la presse et du public à la sortie du livre ?

Robert Laffont, mon éditeur, et toute son équipe lui ont réservé un accueil très chaleureux. Du côté de la presse, qui, au début, n’a pas été très abondante, les journaux de gauche sont restés silencieux et, dans la presse de droite, le livre, s’il a été loué par Valeurs actuelles, sous la plume de Pol Vandromme, a été éreinté par le Figaro…

En fait, la critique s’est surtout manifestée lors de la réédition de 1985, pour laquelle j’avais donné une préface, sous le premier septennat de François Mitterrand. C’est alors que j’ai fait l’objet d’un tir de barrage et qu’on m’a décrété infréquentable. Il y a eu de vio­lentes attaques, notamment celle de Max Gallo, qui, depuis, a quelque peu changé d’avis…

À l’étranger, le Camp des saints a été traduit dès 1975 aux États-Unis chez Charles Scribner’s Sons à New York et a suscité quantité d’articles. Le livre a été bien accueilli du public, et même des universitaires, qui l’ont inscrit au programme de plusieurs établissements. Dans la foulée, de nombreuses traductions étrangères ont suivi… En France, le livre s’est écoulé à 15 000 exemplaires, moins que ce qu’espérait Laffont, puis, vers la fin de 1974, alors qu’il aurait dû achever sa carrière, les commerciaux, à leur surprise, ont observé qu’il poursuivait sa progression. Jusqu’à la réédition de 1985, quelque 8 000 exemplaires par an, en moyenne, se sont vendus grâce au bouche à oreille. Je n’ai jamais rencontré un seul de ses lecteurs qui n’en en ait acheté qu’un exemplaire. Ils le prê­taient, on ne le leur rendait pas, ils en acquéraient un autre. Ainsi le Camp des saints a-t-il élargi son audience pour atteindre, toutes éditions et traductions confondues, près de 500 000 exemplaires jusqu’à aujourd’hui.

Attachez-vous un prix particulier à cette réédition de 2011 et à la préface « musclée » que vous avez rédigée, sous le titre : « Big Other » ?

Cette réédition revêt pour moi une importance plus haute que les précédentes car il me semble que le moment où elle s’inscrit est crucial. La vi­sion développée dans le roman sera sans doute une réalité au­tour de 2050. La plupart des démographes sont d’accord sur le caractère inéluctable du phénomène, qui touche d’autres pays d’Europe. Les minorités dites visibles seront alors des majorités et ce sont les Français dits de souche qui seront minoritaires. Des pans entiers de ce pays seront peuplés de Français d’origine extra-européenne.

On me dira que la France a été constituée par des vagues d’immigration successives. Certes, mais l’immigration des siècles précédents était composée d’immigrés d’origine européenne, qui, en deux ou trois générations, se sont intégrés dans le modèle français. Or, le modèle d’intégration républicain se révèle inopérant depuis au moins une décennie. On assiste à la prolifération du communautarisme, à la juxtaposition de groupes revendiquant leurs différences ethniques, religieuses, culturelles, qui ne se reconnaissent pas dans le « vouloir vivre ensemble » qui fait le ciment d’une nation, comme le soulignait Renan.

Je défie nos gouvernants de prétendre qu’il s’agit là d’un progrès. Nous sommes ou serons confrontés à un retour à la tribalisation, qui m’apparaît comme le contraire de la civilisation. On a beaucoup parlé, récemment, de la nature de l’identité française, des limites de notre capacité assimilatrice, et puis on a enterré le débat dès que Big Other a froncé le sourcil. Qu’est-ce que Big Other ? C’est le produit de la mauvaise conscience occidentale soi­gneusement entretenue, avec piqûres de rappel à la repentance pour nos fautes et nos crimes supposés – et de l’humanisme de l’altérité, cette sacralisation de l’Autre, particulièrement quand il s’oppose à notre culture et à nos traditions. Perversion de la charité chrétienne, Big Other a le monopole du Vrai et du Bien et ne tolère pas de voix discordante.

Je n’ai jamais été un écrivain engagé, mais je n’ai jamais, non plus, dissimulé mes convictions, et j’aimerais que le Camp des saints ouvre les yeux des lecteurs sur les mensonges et les illusions qui pervertissent notre vie publique. Depuis sa parution, j’ai reçu énormément de courrier, et j’ai discuté avec nombre d’hommes po­litiques, de droite et de gau­che. Ce qui m’a frappé, c’est le contraste entre les opinions exprimées à titre privé et celles tenues publiquement. Double langage et dou­ble conscience… À mes yeux, il n’y a pire lâcheté que celle devant la faibles­se, que la peur d’opposer la légitimité de la force à l’illégitimité de la violen­ce.

Je crains, hélas ! que l’épilogue de la pièce ne soit déjà écrit, mais j’aurai au moins joué mon rôle d’estafette et essayé de libérer le pouvoir de la parole. À l’âge que j’ai, du reste, je n’ai plus rien à perdre : cette réédition est ma dernière « sortie ». L’occasion de rappeler, sans mépris et sans haine, que l’Autre, contrairement à ce qu’assurait François Mitterrand, n’est pas totalement chez lui chez moi !

NPI. 10/02.11

 

Commentaires

  • Jean Raspail est notre prophète. Et comme tous les prophètes, il est honni par les politichiens qui nous gouvernent et les merdiats aux ordres. Est-ce que, grâce à ce livre, les Français vont enfin ouvrir leurs yeux ? En tout cas, un grand merci à Raspail !

  • Un grand écrivain, pas un visionnaire rêveur, mais un homme extrêmement lucide, amoureux de sa Patrie, conscient d'un danger effrayant, de plus en plus présent.
    Notre France, notre Patrie, est à Nous, pas aux autres.
    Mitterrand, ou l'accordéoniste chuintant, ont joué tout faux, leur mauvaise partition mérite d'être rapidement détruite.
    Vite, un rejet à la mer.

  • Cher abad, oui, c'st notre prophète! La préface Big Other doit être très intéressante!

    Voilà un très grand écrivain qui devrait être à l'Académie française si la France était "normale"!

    Mais notre Pays est sous le joug de qui l'on sait...

    Quelle décadence accélérée!

  • Et pendant ce temps, 650 clandestins en provenance de Tunisie ont été recueillis à Lampedusa, ce jeudi soir ...!

    ( je suis arrivée chez vous, chère Gaëlle, par ce roman de J.Raspail ! )

  • J' ai lu ce livre en 1989 et je n'ai jamais oublié le personnage du coprophage qui symbolise à merveille ce qu' est le Tiers Monde à savoir de la m...e dans sa majorité!

  • @ marcel, j'avais lu Le camp des saints à sa sotrie en 73 et j'avais été fortement imprsssionnée et angoissée. L'attitude lâche et compatissante des autorités politiques et religieuses m'avait révoltée!
    C'est un ouvrage majeur, comme "1984", exceptionnel même!
    Jean Raspail est trop peu connu, et sans doute ne figure-t-il pas au programme des écoles!
    Au cours d'une signature de livres à Paris, j'ai vu Jean Raspail! Il est très grand et bâti en force, l'oeil d'un aigle qui ne laisse rien passer! Impressionnant, lui aussi! Il y a dans ses yeux insondables des horizons lointains...
    C'est le seul grand écrivain vivant que nous ayons encore en France.

  • Chère tania, maintenant qu'il n'y a plus Ben Ali et Trabelsi, ils DOIVENT rester chez eux, les Tunisiens! Je ne comprends pas...

    Merci encore à Jean Raspail s'il a vous amenée vers mon blog!

    Amitiés

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