Libres propos de Gilbert Collard
Un bar-tabac où l’on sirote le café, lit le journal, discute le coup, histoire de refaire un monde qui se défait tous les jours si vite qu’aucun ragot ne peut le raccommoder, c’est un petit, tout petit bonheur, presque d’autrefois. Une nostalgie des heures où l’on fumait sans complexe sa clope criminelle en buvant son café noir comme l’encre du journal qui salissait les mains. A Châtillon Saint–Jean, au centre du village, Lucette Giraud, ouvre un bar-tabac- presse, qui fait le passe-temps du village.
En 2005, elle décide de s’installer au croisement des communes de Romans, Châtillon et Parnans ; elle espère mieux travailler, l’endroit, situé au carrefour de plusieurs routes, est stratégique, il attire du monde… et quel monde ! En 6 ans, elle est cambriolée 11 fois et braquée une fois. Rien n’y fait, ni les rondes des gendarmes, ni le rideau de fer, ni les caméras de surveillance, ni le système de gazage et d’enfumage, ni les nuits dans la voiture à guetter la venue des voleurs. En France, aujourd’hui, on n’empêche pas les voleurs de voler, mais on empêche une brave femme de travailler ! C’est un extraordinaire paradoxe qui semble n’indigner aucune conscience pétaradante d’indignations vertueuses. Cette femme ne peut plus travailler, car l’assureur ne veut plus l’assurer. Quel assureur, son nom ? Il faut connaître l’identité de la compagnie d’assurance qui n’assure qu’à coup sûr.
Je n’arrive pas à comprendre qu’on en soit là, dans un état incapable, malgré les rodomontades de ses rambos de la sécurité, de protéger un commerce du vandalisme chronique, au point que la commerçante doive baisser le rideau, les bras, se rendre vaincue ! On peut entonner tous les grands airs des opéras politiques sur la sécurité, la vérité est là, têtue, intimidante : l’État est incapable d’assurer la tranquillité publique dans un bar-tabac de village … Et le système est ainsi fait que l’assureur se débine et laisse l’assurée, âgée de 56 ans, au boulot depuis l’âge de 16 ans, cambriolée, contrôlée, taxée, imposée, débitée, fatiguée, se noyer toute seule, sans procureur, sans juge, sans escorte, sans gyrophare, sans poignée de main sur le perron publicitaire de l’Élysée. Il est vrai que Châtillon, ce n’est pas la jungle des guérilleros, et Lulu n’est pas Ingrid ! Le maire et le député ont eu l’idée (il fallait une idée) de demander à la gendarmerie un « diagnostic de sécurité » … Ce n’est pas une blague, c’est vrai, « un diagnostic de sécurité ! » Après onze cambriolages, le diagnostic, il est fait, non ? Pas pour tout le monde, semble-t-il. L’histoire de Lulu et de son bistrot n’a pas l’ampleur des événements qui secouent le monde en ce moment, bien sûr, sauf que les petites misères font les grandes révoltes. Se dire qu’en France, aujourd’hui, un commerçant doit plier bagage devant des braqueurs qu’aucun uniforme n’empêche de braquer, c’est horripilant, révoltant, et surtout injuste. A la longue ça use la patience, ça use la confiance, ça use, tout simplement ! Je propose qu’on devienne tous les clients du bistrot de Lulu et qu’on se plaigne à qui de droit du tort que nous fait la fermeture de notre café… On est tous des clients de Lulu ! Défendons notre comptoir contre l’incurie d’Augias, contre les voleurs qui volent à l’aise, contre les assureurs qui n’assurent pas, contre les gardiens qui ne gardent pas !
Nations Presse Info - 02 mars 2011
Commentaires
Merci à Maître Collard pour ce billet. Même si dans notre pauvre pays en voie de décomposition et de disparition, personne ne reprend ces propos et ne devient un client du bistrot de Lulu, il fallait que cela fut dit !
Cher abad, j'ai beaucoup aimé ce billet de Me Collard.
Le bistrot de Lulu est fermé. A sa place, on trouvera un Quick hallal.
N'oublions pas la jeune buraliste, Ludmilla, à Montpellier, tuée de huit coups de couteau (une boucherie) par un Marocain de 26 ans sans papiers. Elle remplaçait sa maman ce jour-là, l'été dernier. Elle avait 21 ans, des projets dans la vie. C'est un meurtre horrible. Il a volé la caisse après, 130 €.