Le très virulent procureur Cyrus Vance Jr se retrouve piégé par les mensonges de la femme de chambre du Sofitel. Un procès ne pourrait que virer au fiasco pour lui. Mieux vaut se résoudre au non-lieu.
Même Kenneth Thompson, l’avocat de Nafissatou Diallo, n’y croit plus. "Nous pensons que le procureur du district pose les fondements d’un non-lieu", a déclaré vendredi à la presse la star du barreau. Autrement dit, il n’y aura sans doute jamais de procès de Dominique Strauss-Kahn. Certes, la justice de New York maintient, à l’heure qu’il est, ses accusations contre l’ancien patron du FMI. Certes, Thompson tente toujours de soutenir sa cliente, répétant que celle-ci a bien été violée, donnant même des détails, très crus, sur l’agression supposée : le ligament de l’épaule froissé, les seins empoignés, le vagin écorché, des bas arrachés…
Mais en dévoilant ces blessures, Thompson montre qu’il mise, lui aussi, sur une issue très rapide du procès pénal. "Son agressivité a pour but de faire peur à DSK, décrypte Ron Soffer, avocat inscrit au bureau de New York et de Paris. Il veut faire croire qu’il peut toujours engager des poursuites au civil. Il essaie aussi sans doute de préparer un arrangement financier secret avec la défense. Même si Strauss-Kahn est innocenté pénalement, il n’aura pas très envie de revenir dans six mois s’expliquer devant un tribunal sur l’épisode de la suite 2806".
L’abandon pur et simple des poursuites?
De l’avis général ou presque, DSK ne sera donc jamais jugé pour viol. Aux mesures décidées vendredi (caution rendue, bracelet électronique ôté mais passeport conservé), devrait bientôt succéder une autre, bien plus symbolique: le non-lieu. "Beaucoup de chapitres de cette affaire extraordinaire restent à écrire, mais si les poursuites sont abandonnées, cela montrera que la justice fonctionne, estime l’ancien procureur Jacob Frenkel, chargé de délits de droit commun à La Nouvelle-Orléans. Il vaut mieux ne pas poursuivre un dossier insuffisamment solide que de condamner un innocent". Spécialiste des questions de justice sur la chaîne d’information continue CNN, l’ancien procureur adjoint Jeffrey Toobin ajoute : "Je crois qu’à ce stade, cette affaire va se terminer par un non-lieu. Il est difficile d’imaginer un procès où le témoin principal apparaît comme une fieffée menteuse. Je n’ai jamais vu une chose pareille, cette journée est l’une des plus extraordinaires de l’histoire de la justice criminelle des États-Unis".
Quand bien même Nafissatou Diallo aurait dit la vérité sur la seule agression sexuelle, comment imaginer, vu les derniers coups de théâtre, qu’un jury condamnerait Dominique Strauss-Kahn? "S’il y a procès, cette femme sera réduite en charpie lors des contre-interrogatoires", prédit Jacob Frenkel. L’accusation a désormais trois choix : continuer les poursuites avec une forte probabilité de perdre un procès où le jury ne sera jamais unanime ; poursuivre l’affaire en réduisant l’importance des chefs d’inculpation ; abandonner purement et simplement les poursuites. Aux yeux de tous, cette dernière hypothèse s’impose désormais. Pour l’accusation, la crédibilité du témoin est un effet la clé de voûte de la procédure. "Le travail de l’accusation est de présenter au tribunal un dossier dans lequel la culpabilité de l’inculpé est probable, sans doute raisonnable", raconte Ron Soffer. "Là, on est très loin du compte".
Le procureur a d’ailleurs déjà officiellement reconnu ses erreurs. Car, fait paradoxal, ce ne sont pas les dizaines de détectives privés recrutés par la défense qui ont apporté les éléments accablants pour l’accusatrice mais bel et bien le procureur lui-même. Après avoir défendu avec force pendant plus d’un mois le récit "crédible" de la victime présumée, Cyrus Vance Jr. a ainsi dû communiquer à la défense des éléments d’enquête pouvant se révéler disculpatoires, comme l’y oblige la loi américaine.
"Il n’y a pas eu d’enquête suffisante"
Vendredi à l’issue de l’audience, le visage fermé et le teint blanc, il a reconnu devant les journalistes que si les preuves matérielles (ADN et vidéos) ne remettaient pas en cause le rapport sexuel entre l’ex-directeur du FMI et la femme de chambre du Sofitel, la parole de l’accusatrice n’était plus "crédible". Élu avec 91% des voix, le procureur est désormais dans l’oeil du cyclone. Plusieurs experts estiment que l’arrestation de DSK, le 14 mai, est survenue trop rapidement après les faits. "Il n’y a donc pas eu d’enquête suffisante, c’est inhabituel mais c’était dû au fait que Dominique Strauss-Kahn allait quitter le pays, il fallait agir vite", souligne l’un d’entre eux. Cela dit, le procureur Cyrus Vance aurait dû, de l’avis général, se dispenser de déclarer à la presse, comme il l’a fait, qu’il existait des preuves très sérieuses étayant les faits. "Il a tiré des conclusions trop rapides, il s’est laissé emporter par la frénésie médiatique", estime Jacob Frenkel.
"Tout ceci n’est pas bon pour le procureur Cyrus Vance, reconnaît le juriste Alex Reinert. Son bureau a déjà perdu récemment dans une affaire de viol présumé d’une femme par deux policiers qui ont été innocentés. Cette nouvelle affaire était très importante pour sa carrière et il ne peut pas se permettre de la perdre". Conclusion : mieux vaut abandonner les poursuites que de risquer une Berezina devant le tribunal. Certains spécialistes, comme l’avocat et ancien procureur de la Sex Crime Unit (l’unité chargée de l’enquête dans l’affaire DSK) Matthew Galluzzo, imaginent désormais un non-lieu qui pourrait être prononcé avant même la prochaine audience, prévue le 18 juillet. Ensuite, une fois blanchi, Strauss-Kahn pourrait contre-attaquer, se retourner contre la ville de New York et lui intenter un procès en dommages et intérêts. L’ultime chapitre d’une affaire judiciaire folle et unique dans l’histoire.