Le témoignage de l’ex-comptable de la milliardaire est une nouvelle pierre dans le jardin de l’Elysée. Peut-être la plus gênante.
Elle parle doucement, pèse ses mots, mais le ton est ferme, sans hésitation. Dans un long entretien à Libération (lire l'interview), Claire Thibout, l’ex-comptable de Liliane Bettencourt, sort du silence dans lequel elle s’était murée depuis plus d’un an. Elle raconte dans le détail l’histoire des enveloppes distribuées aux politiques, les visiteurs du soir chez les Bettencourt et les incroyables pressions qu’elle a subies durant des mois. Car, en juillet 2010, après avoir livré ce même témoignage aux enquêteurs, Claire Thibout avait été vouée aux gémonies. Accusée de mythomanie, de manipulation et même de vol, ses déclarations avaient alors été partiellement discréditées, aussi bien par les policiers que par Philippe Courroye, le procureur de Nanterre, à l’époque maître de l’enquête.
Explosif. Ce temps est révolu. La comptable a été lavée de tous soupçons et la procédure est désormais entre les mains de trois juges d’instruction bordelais, dont l’indépendance n’est pas en doute. Ce sont eux - Jean-Michel Gentil, Cécile Ramonatxo et Valérie Noël - qui ont longuement interrogé l’ex-comptable mercredi 14 septembre.
Un autre témoin clé, dont l’identité reste à ce jour mystérieuse, a également été entendu, tout comme Isabelle Prévost-Desprez (1), la juge de Nanterre venue s’expliquer pour ses propos dans le livre Sarko m’a tuer où elle affirme que l’ancienne infirmière de Liliane Bettencourt a dit un jour à sa greffière : «J’ai vu des remises d’espèces à Sarkozy, mais je ne pouvais le dire sur procès-verbal.»
De source proche du dossier, on affirme que le volet le plus explosif de l’affaire Bettencourt, qu’on croyait enterré à Nanterre, «ressuscite à Bordeaux». Mais dans la plus grande discrétion. Il vise l’éventuel «trafic d’influence, le financement illicite de parti politique ou de campagne électorale». En clair, les juges cherchent à vérifier si la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 a bien été légalement financée.
Rebondissements. Dans cette perspective les explications de Claire Thibout sont cruciales. Elle raconte dans le détail comment Eric Woerth, le trésorier de cette campagne, aurait reçu 50 000 euros des mains de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt. Un épisode qui se serait déroulé le 19 janvier 2007, trois mois avant le premier tour de l’élection.
Il est d’autant plus crédible qu’un certain nombre de documents saisis par les enquêteurs confirmeraient les rendez-vous entre Claire Thibout et Patrice de Maistre, puis entre l’homme de confiance de la milliardaire et Eric Woerth. Interrogés à Nanterre, l’été dernier, les deux hommes avaient nié sans être davantage inquiétés. Il pourrait en aller tout autrement d’ici quelques semaines face aux magistrats bordelais.
De la même façon, les magistrats s’intéressent à la remise de Légion d’honneur à Patrice de Maistre par Eric Woerth puis à l’embauche de l’épouse de celui-ci au sein du holding des Bettencourt. Là encore, les explications de Claire Thibout sont capitales, comme sa narration des incroyables pressions dont elle aurait fait l’objet.
Au final, alors que les rebondissements se succèdent dans l’affaire dite de Karachi, que des proches du chef de l’Etat sont mis en examen, que des hauts policiers risquent d’être poursuivis pour avoir espionné le téléphone d’un journaliste du Monde(lire page 5), l’enquête Bettencourt pourrait bien s’avérer être la plus embarrassante pour le pouvoir.
La convocation inéluctable d’Eric Woerth en sa qualité de trésorier de la campagne de Nicolas Sarkozy, avec la menace d’une mise en examen pour «trafic d’influence» et «financement illicite de campagne électorale», placerait le chef de l’Etat en première ligne.
(1) Suite à ses déclarations dans le livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, Isabelle Prévost-Desprez est convoquée vendredi par sa hiérarchie. La présidente de la 15e chambre du tribunal correctionnel de Nanterre est attendue pour «un entretien préalable à l’engagement de poursuites disciplinaires» dans le bureau du premier président de la cour d’appel de Versailles.
Photo Bruno Charoy
Libération - 28/09/11
Commentaires
Qui donc peut s’étonner de toutes ces magouilles nauséabondes ?
Claire Thibout ne se rétracte pas, elle tient bon, et c'est cela qui est sans doute remarquable, selon moi.