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La Libye et la Tunisie sur la voie iranienne, par Claude Lorne

Après une assez longue diète médiatique, le chef de l’Etat s’est adressé à ses sujets au lendemain du sommet européen de Bruxelles, via TF1 et France 2. Interrogé ce 27 octobre par Jean-Pierre Pernaut et Yves Calvi sur la dramatique situation économique de l’Europe en général et de notre pays en particulier, le chef de l’Etat ne s’est pas contenté d’incriminer, à juste titre, les « erreurs » monstrueuses commises par les socialistes, en 1983, avec le passage de « la retraite à 60 ans » puis avec l’instauration des « 35 heures ». Il a aussi pointé « l’erreur », tout aussi grave, que fut l’admission de la Grèce dans la zone euro qui, du coup, « risque en cascade d'être emportée ». Mais le président de se justifier aussitôt : « Ni Mme Merkel ni moi n'étions en fonction lorsqu'on a décidé de faire entrer la Grèce dans l'euro en 2001. »

C’est vrai. En 2011, en revanche, Nicolas Sarkozy est en fonction. Pas plus que la chancelière allemande, il n’a vu venir le coup de Trafalgar qu’est le référendum annoncé par le premier ministre grec Papandreou et qui se traduira par un rejet massif du plan d’austérité exigé par l’Europe en échange du renflouement (d’ailleurs provisoire) de l’Hellas. Et, même si les journalistes qui le questionnaient ont, avec un tact exquis, évité ces sujets brûlants, n’a-t-il pas commis lui-même des « erreurs », et de taille, hautement préjudiciables à notre économie : ainsi en faisant un département français de Mayotte, île totalement musulmane et déversoir, en outre, de toutes les miséreuses Comores, en proie depuis des semaines à des violences endémiques ? N’a-il pas aussi soutenu, contre certains de ses conseillers et de ses ministres (Alliot-Marie), les émeutes arabes, jusqu’à militer à l’ONU en faveur d’une intervention militaire, nom de code Harmattan, dont notre aviation fut le fer de lance, pour un coût estimé début octobre déjà par l’amiral Guillaud à 430 millions d’euros, ce qui est paradoxal pour un dirigeant politique qui préconise une « gestion rigoureuse » ? Soit dit en passant, toujours selon le chef d’état-major des Armées auditionné par la commission parlementaire de la Défense, « les interventions ayant été très nombreuses cette année, le surcoût des OPEX (opérations extérieures, en Afghanistan notamment) est estimé à 1,3 milliard d'euros ». Alors que le chômage progresse, que s’annulent les rêves de croissance et que l’Etat s’apprête à imposer tout ce qui bouge, se boit, se mange ou se fume, peut-on espérer un terme à ce prurit de se poser en gendarme du monde ?

Les idiots utiles pris à leur propre piège

Toussaint 2011. Avec l’automne arrivé, les feuilles mortes des printemps arabes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi. Quelque part dans le désert cyrénaïque, Muammar Kadhafi a été enterré aussi clandestinement que précipitamment le 24 octobre, sans qu’il ait été procédé, malgré les promesses, à la moindre autopsie sérieuse. Les témoignages, appuyés de films vidéo, affirmant que, blessé, le dictateur avait été achevé à coups de revolver et lynché  par les « libérateurs »  – lesquels se sont livrés à Syrte au massacre d’une cinquantaines de légalistes, dont beaucoup, blessés lors des combats, ont été tirés des hôpitaux pour être égorgés près de l’hôtel Mahari – étaient donc fondés.

Nonobstant, Nicolas Sarkozy a salué la victoire des « démocrates » de Benghazi et exalté le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Mais en l’occurrence, que voulait exactement le « peuple » libyen ? Il aura fallu près de huit mois à la grande armada de l’OTAN (dont le mandat, largement outrepassé et violé, notamment par la livraison d’armes lourdes aux rebelles, s’est achevé le 31 octobre) pour imposer le vainqueur de son choix. Et celui-ci est si peu assuré de sa légitimité qu’il a fait inhumer le raïs déchu dans un endroit tenu jalousement secret afin d’éviter, de son propre aveu, « tout pèlerinage », ce qui signifie en clair que le régime honni et son défunt chef conservent pas mal de fidèles.

Leur nombre, d’ailleurs, pourrait bien augmenter avec les « inévitables bavures » dont M. Bernard-Henri Lévy voulait bien convenir dans Le Point du 20 octobre où, réclamant « Justice pour les libérateurs de Syrte », ville désormais réduite à un tas de décombres, il saluait néanmoins, dans son style inimitable, « la dignité de ces combattants de fortune qui, comme au premier jour, font la guerre sans l’aimer ».

A cela s’ajoute la décision du Conseil national de transition d’imposer la Charia comme épine dorsale de la future Constitution, ainsi que l’a annoncé le 23 octobre le sieur Abdeljalil, président dudit CNT, devant lequel, le couvrant d’éloges, Nicolas Sarkozy déroulait le tapis rouge à l’Elysée le 1er septembre dernier (1).

Les lendemains seront-ils aussi moroses, de même en Tunisie où le parti islamiste (mais attention : prônant un islam « modéré ») Ennahda, ou Ennahdha, raflait simultanément 41,47 % des suffrages et 90 sièges sur les 217 que compte l’Assemblée constituante, très loin devant ses concurrents laïcs, aux premières élections, dites libres ?

Désarroi dans nos médias et désespoir dans les milieux progressistes tunisiens qui s’aperçoivent, mais un peu tard, qu’ils ont tiré les marrons du feu pour les Barbus. On retrouve le même processus, soit dit en passant, que celui qui s’est déroulé en 1979 contre le shah d’Iran avec les intellectuels persans et les riches commerçants du bazar de Téhéran qui appelaient de leurs vœux un régime éclairé et se réveillèrent avec la République islamique du frénétique ayatollah Khomeiny… et de ses successeurs toujours au pouvoir.

L’histoire ne se contente pas de bégayer, elle repasse aussi les plats les plus indigestes, que les idiots utiles locaux se sont fait un devoir de cuisiner amoureusement, avec la bénédiction de leurs homologues occidentaux.

Ruée vers cette France où « tout est facile »

C’est leur affaire, dira-t-on. Hélas non, c’est aussi la nôtre, car nombre de perdants de la nouvelle donne libyenne, comme des déçus (et surtout déçues) de l’antibénalisme, ne vont pas se contenter de subir. Ils vont déferler chez nous, comme l’ont d’ailleurs déjà fait des milliers de Tunisiens depuis que le grisant parfum de la Révolution du jasmin a tourné au miasme.

Originaire de Sidi Bouziz d’où, après l’immolation par le feu d’un jeune chômeur, partit la révolte contre Ben Ali et qui a été la semaine dernière le théâtre de heurts violents, cette fois contre Ennahda, accusé d’avoir « volé la victoire », le milliardaire véreux Hechmi Hamdi a ainsi provoqué la stupéfaction générale en conquérant une vingtaine de sièges à l’Assemblée constituante.

Par quel miracle ? Ce nabab installé à Londres où il a créé la télévision satellitaire al-Mostakilla, très regardée en Tunisie, a axé toute sa campagne électorale sur sa détermination à… construire un pont entre ce pays et le sud de l'Italie, objectif comme on sait de tous les candidats à l’exil dans l’eldorado européen !

Dès le 13 juillet sur le Bondy Blog, site créé pendant les émeutes ethnico-religieuses du ramadan 2005 et animé par des immigrés (2), donc peu suspect de racisme viscéral et primaire, on pouvait d’ailleurs lire sous la plume de Yamina Jarboua que « clandestins, sans travail, venus chercher argent et parfois épouse, les jeunes hommes partis de Tunisie au moment de la chute de Ben Ali, sont source de tracas pour leurs proches résidant sur sol français », en raison de leurs revendications exorbitantes. Un certain Nacer, fringant révolutionnaire ayant « choisi de rester en France et trouvé un logement chez un oncle », exige ainsi d’icelui « un travail par piston et une femme pour qu’elle lui facilite l’obtention des papiers français ». « Il n’est pas le seul à s’inscrire dans ce schéma : Ali, Sofiane et Tarek réclament la même chose, croyant que tout est facile ». De plus, « leur statut de clandestins leur pose problème. Du coup, ils passent des journées entières devant la télé. Pour les familles qui les hébergent, la situation devient compliquée. »

Ennahda, parti de l’ordre ?

Une chance pour la France, on vous dit… D’autant que les 500.000 Tunisiens officiellement recensés dans l’Hexagone, loin d’adhérer aux Immortels Principes de notre République, en ont rajouté dans l’obscurantisme. A la grande stupéfaction du lobby immigrationniste, progressiste par définition, plus de la moitié des 120.000 expatriés habilités à voter, et dont une bonne partie sont des binationaux, ont plébiscité Ennahda (Renaissance), alors qu’aucun des candidats investis par les autres partis issus de la révolution n’était élu en France ! Il est vrai que si Ennahda a obtenu un tel succès, c’est, selon Vincent Geisser, chercheur spécialiste du monde arabe et musulman, parce qu’il propose justement un « retour à l'ordre après l'effervescence révolutionnaire des premiers mois », une effervescence dont la majorité du peuple tunisien est maintenant excédée puisqu’elle aura provoqué un profond marasme dans le tourisme et l’industrie textile, deux activités vitales pour le pays.

Les désinformateurs toujours plus cyniques

On attend maintenant, encore que sans grand espoir, la repentance des faiseurs d’opinion qui, pour vendre du papier ou de belles images, ont glorifié cette effervescence… quand ils ne l’ont pas orchestrée, à coups de scoops trafiqués et d’informations bidon. Comme, perseverare diabolicum, ils l’ont encore fait en Syrie où, à la suite d’Amnesty International, ils avaient fait sangloter le monde entier sur le triste sort de la jeune Zainab al Hosni, paraît-il enlevée en juillet à Homs par des sbires de Bachar al-Assad et retrouvée plus tard dans une morgue, « décapitée, démembrée et écorchée ». Fin atroce qui fit d’elle « l’icône de la révolte » contre le régime alaouite. Hélas pour les désinformateurs, Zainab faisait sa réapparition début octobre, expliquant avoir fui sa famille pour échapper… à ses frères qui la violaient ! Mais qui a eu connaissance de cet heureux épilogue ? Si TF1 en a fait mention le 6 octobre sur son site internet, la chaîne de béton s’est en effet bien gardée de l’évoquer dans ses journaux télévisés.

Il est vrai que le même silence sépulcral règne sur les « bébés monstres » de Falloudjah, la ville irakienne bastion de la résistance sunnite et saddamiste jusqu’à la prise (et sa destruction) en novembre 2004 lors de l’opération Shake and Bake (Agiter et cuire, sic) lancée par l'armée américaine. Cette dernière y a-t-elle utilisé l'arme nucléaire ? Tout semble l’indiquer. Depuis lors, en effet Falloudjah connaît une explosion de cancers divers dans la population adulte et un nombre si élevé d'enfants malformés à la naissance, une quarantaine par mois, que chaque famille ou presque y a son « monstre ». Certes, Canal+ a consacré le 31 octobre une émission à ce drame nous ramenant aux heures les plus sombres, celles du bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki, mais à une heure très tardive, 22h45, et surtout plus de trois ans après la chaîne de télévision britannique Sky News. Cette émission a laissé de marbre les humanistes professionnels, que la moindre évocation de l’ « agent orange » mettait en transes quand il était utilisé contre le Nord-Vietnam d’Hô chi-Minh.

Enfin un bon identitaire !

D’ailleurs, pourquoi les désinformateurs se gêneraient-ils du moment que les politiques donnent le ton ? Très offensif contre le régime syrien dont il veut avoir la peau à l’ONU, Alain Juppé a fait savoir le 25 octobre, au lendemain des élections tunisiennes, que la France « accompagnerait les changements » dans les pays arabes, sur l’avenir desquels il s’est dit « optimiste »… surtout compte tenu de l'aide exceptionnelle du G8, même si le versement de celle-ci doit être conditionné au « respect des valeurs démocratiques ». Mais en bon disciple de Pangloss, le ministre des Affaires étrangères estime que ces valeurs ne sont en rien menacées. Foi de l’ancien premier ministre, qui, visitant le 22 septembre 1996 un lycée de Montpellier, y avait ameuté les élèves contre Jean-Marie Le Pen et le Front national, « parti raciste et xénophobe », il importe en revanche de « ne pas stigmatiser en bloc les Frères musulmans ou les partis islamiques, ce n'est pas le diable. Il y a parmi eux des gens extrémistes et des gens tout à fait modérés. »

Pas xénophobe, Ennahda ? Coïncidence fâcheuse pour Juppé, Rached Ghannouchi, son leader, flétrissait au même moment la « pollution linguistique » exercée par le français sur les Arabes, campagne menée en Algérie par Ben Bella en 1962 (« Nous sommes des Arabes, des Arabes, des Arabes ») puis, vingt ans plus tard, par les fondamentalistes du Front islamique du salut. Mais il en faudrait davantage pour ébranler M. Juppé qui ne voit dans la diatribe de l’honorable Ghannouchi qu’une envolée identitaire. Et chacun sait que tout réveil identitaire est sacré, à condition, bien sûr, qu’il ait lieu dans le Tiers-Monde.

Claude Lorne
30/10/2011

(1) In« Libye : retour sur un « succès catastrophique »
(2) Lire « L'islam hégémonique dans les « prisons-hôtels » de la République»

Correspondance Polémia – 4/11/2011

Image : L'Union africaine a finalement reconnu mardi le Conseil national de transition (CNT) comme représentant légitime du peuple libyen, après des semaines de résistance et avoir échoué à s'imposer comme médiateur dans un conflit où l'Afrique a été tenue à l'écart.

Commentaires

  • Merci à Claude Lorne pour cette excellente analyse de la situation en Libye et en Tunisie. Et il montre très bien comment les médiats occidentaux et surtout français désinforment la population par l’omission et le mensonge.

  • Cher abad: un excellent article en effet de C.G., dont on reconnaît le style irremplaçable, qui donnait tant de saveur et de piquant à Rivarol !

  • effectivement trés bonne analyse , mais qui aura du mal à désenfumer les éternels gogols européens!!
    salutations.

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