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Les Livres Propos de P.-L. Moudenc

Trois destins singuliers

 

   Merci, tout d’abord, à Gaëlle Mann qui a la bonté d’héberger mes propos momentanément SDF. Son blog est un modèle de liberté. Un îlot de résistance au conformisme et à l’intolérance ambiants. Cela, par les temps qui courent, n’a pas de prix.

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   Je voudrais signaler à ses lecteurs sensibles aux personnalités originales le livre de Lucien d’Azay Trois excentriques anglais (1). Un triptyque biographique mettant en regard des écrivains qui, soucieux d’émancipation, s’inscrivent délibérément en marge de la société de leur temps et la révèlent, en quelque sorte, en négatif.

   Le premier, Thomas Lovell Beddoes (1803-1849), poète et dramaturge, pourrait figurer l’archétype du romantisme porté à son point d’exaspération. Obsédé par la mort et l’au-delà, celui qui se qualifiait lui-même de « séducteur de fantômes » fut toute sa vie en proie à un spleen mortifère mais fécond, puisqu’il nourrit l’essentiel de son œuvre. Marginal en son temps, il avait l’ambition de ressusciter le théâtre élisabéthain et se passionnait pour le spiritisme alors dans ses balbutiements.

   Sa fascination pour la mort le conduisit à s’empoisonner après diverses tentatives de suicide. Sur son cadavre, un billet où il exprime ses dernières volontés et qui commence par cette profession de foi : « Je ne suis bon qu’à nourrir les vers de terre ». Selon la belle expression de son biographe, il avait traité la vie « comme une maîtresse pour épouser sa rivale ». Car ce parangon de l’écrivain gothique, farceur à l’occasion (il tentera un jour, par haine des navets romantiques de son époque, de mettre le feu à un théâtre en allumant un billet de cinq livres sous un fauteuil !), amateur et pratiquant du nonsense, une spécialité anglo-saxonne, pratiquait le pittoresque au quotidien.

   Son chef-d’œuvre, une énorme tragédie lyrique, Death’s Jest Book, parut après sa mort. Elle est représentative de son talent extravagant.

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   Second de ces excentriques, John Gray (1866-1934). Un poète aux mœurs hétérodoxes, ami d’Oscar Wilde auquel il servit de modèle pour son Portrait de Dorian Gray. Autodidacte issu d’un milieu populaire devenu un dandy à la sensibilité exacerbée, mal à l’aise dans la rigide société victorienne, véritablement vampirisé par son « double » romanesque, il rompit avec Wilde en 1894.

   S’ensuivit une crise d’identité dont il sortit par le mysticisme. Converti au catholicisme, renonçant à la poésie, il chercha dans la religion et la chasteté un remède à son mal-être et l’expiation de ses fautes. Au point de se faire ordonner prêtre et de devenir « un vivant exemple de vertu sacerdotale », selon les termes du dominicain chargé de prononcer son oraison funèbre.

   Il laisse à la postérité des recueils de poèmes dont certains, suivant immédiatement sa conversion, d’inspiration religieuse (Ad Matrem. Fourteen Scenes In The Life Of The Blessed Virgin Mary, 1903). Une ferveur les imprègne, susceptible de nous toucher encore aujourd’hui.

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   Plus proche de nous dans le temps, Aleister Crowley (1875-1947). Plus connu aussi, en France, sans doute, que les deux précédents. Ce personnage extraordinaire, inquiétant, de la race des Gurdjieff et autres mages modernes, se prétendait la réincarnation du médium de John Dee, l’astrologue de la reine Elisabeth Ière. Joueur d’échecs, peintre, alpiniste, espion, poète et magicien charismatique, il est surtout connu dans les domaines de l’occultisme comme fondateur de la secte Thelema qui avait pour mission d’aider ses membres à trouver leur « Véritable Volonté » en recourant à la magie sexuelle.

   Le pouvoir d’envoûtement de cet érotomane, adepte de toutes sortes d’expériences sexuelles et jusqu’aux plus extrêmes (il s’était lui-même surnommé, en référence à l’Apocalypse de Saint Jean, « The Great Beast 666 »), perdura bien après sa mort puisqu’il fut redécouvert dans les années 1960 par la contre-culture du rock et érigé par ses admirateurs en idole contre l’Establishment.

   Auteur de nombreux ouvrages sur le yoga, le tarot, l’astrologie, la Kabbale et autres disciplines occultes, il a aussi publié des pièces de théâtre, des romans et des recueils de poèmes dont certains ont été traduits en français.

   Outre qu’il traite de personnalités déviantes, certes, mais à tout le moins hors du commun, l’essai de Lucien d’Azay, sérieux, documenté, vivant et même allègre, présente un indéniable intérêt historique. Car, derrière chacun des trois portraits à valeur allégorique, s’esquisse, en toile de fond, le tableau esthétique et moral de l’Angleterre saisie à des périodes différentes de son histoire.

 

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1 – Trois excentriques anglais. Les Belles Lettres, 334 p. avec bibliographie et iconographie, 23 €.

Commentaires

  • Vraiment très heureux de pouvoir continuer à lire les Livres Propos de PL Moudenc. Merci beaucoup.

  • Merci à Gaëlle et à Moudenc de me permettre de lire ces livres propos sans avoir besoin d’acheter Rivarol !
    Je me régale à lire ces notes de lectures, toujours si instructives.

  • J'approuve entièrement ce que PL Moudenc dit du blog de Gaëlle Mann, c'est entièrement ce que je pense !
    De plus ses Livres Propos sont très intéressants.

  • Merci, LENI!
    P.-L. Moudenc est vraiment très gentil et j'espère continuer à mériter ses éloges.

  • Cher abad, il n'y aura plus les LIVRES PROPOS de PL Moudenc dans Rivarol. Cela va faire un grand vide.

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