Pour Robert Badinter, pas de doute : la loi pénalisant la négation des génocides adoptée jeudi par l'Assemblée nationale est contraire à la Constitution française. "Il s'agit d'un texte qui véritablement à mon sens est anticonstitutionnel", a déclaré l'ancien garde des Sceaux et président du Conseil constitutionnel sur RTL. Contacté par leJDD.fr, le constitutionnaliste Guy Carcassonne indique partager l'opinion du socialiste. Le texte pose "un problème de liberté d'expression", argue-t-il. "En tout état de cause, la liberté d'expression fait partie des principes constitutionnels. Rendre pénalement répréhensible l'expression de quoi que ce soit est discutable."
D'autres lois restreignant la liberté d'expression sont pourtant appliquées en France, telle la loi Gayssot du 13 juillet 1990. Ce texte "tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe" comporte d'importantes restrictions à la liberté d'expression. A-t-il pour autant été reconnu conforme à la Constitution? Guy Carcassonne répond que "cela ne va pas de soi, car le Conseil constitutionnel n'a jamais eu à connaître de la loi Gayssot".
Bernard Accoyer peut saisir le Conseil constitutionnel
Les neuf sages auront-ils à se prononcer sur la loi votée jeudi? Il n'est pas certain que les parlementaires opposés au texte soient suffisament nombreux pour pouvoir saisir le Conseil constitutionnel. Soixante députés ou 60 sénateurs doivent être réunis. En revanche, le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, peut déférer le texte. Il n'a pas fait mystère de son opposition à cette loi, confiant lors de l'émission Question d'Info sur LCP que "les grandes démocraties n'ont pas à définir l'Histoire par la loi". Joints par leJDD.fr, les services de Bernard Accoyer indiquent simplement qu'il est "encore trop tôt" pour l'envisager et que le président ne prendra pas position avant la fin de l'examen du texte. En clair : la saisine du Conseil constitutionnel n'est pas écartée a priori. Si toutefois elle ne devait pas intervenir, la loi pourrait être contestée par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet de saisir le Conseil constitutionnel au cours d'une procédure déjà en cours.
Pourtant, pour ses partisans, le texte ne présente aucune ambiguïté constitutionnelle. "Il ne s'agit pas d'écrire l'Histoire, mais de poser un acte politique", plaidait ainsi le député UMP Patrick Devedjian dans un entretien au JDD.fr jeudi. "C’est une loi qui est la conséquence d’une directive cadre de l’Union européenne adoptée en 2008", justifiait Claude Guéant, le ministre de l'Intérieur sur Europe 1. Deux arguments que rejette avec vigueur Guy Carcassonne. "Le Parlement ne peut pas faire de la législation capricieuse, ses compétences sont attribuées par l'article 34 de la Constitution", affirme-t-il. Quant au prétexte du droit communautaire, le juriste observe que le texte européen en question est une "décision-cadre", ce qui "n'a rien à voir avec une directive". "Le caractère impératif n'est pas du tout le même", souligne Guy Carcassonne.
La loi "visant à réprimer la contestation de l’existence de génocides reconnus par la loi", déjà à l'origine d'importantes tensions diplomatiques entre Paris et Ankara, pourrait donc également être au coeur d'une bataille juridique.