Publié le 18 mars 2012 à 18:30
Le Journal (1) des frères Goncourt fait partie de ces livres que tout le monde connaît, dont tout le monde a lu quelques pages, mais que peu de gens lisent en son complet. On a tort de s’en tenir aux morceaux choisis. Car la longue période du Journal − quarante-cinq ans, de 1851 à 1896 − n’est pas son moindre intérêt.
Or il se trouve, dans ce Journal, une constante, de son début jusqu’à sa fin, quand il est écrit à deux mains, celles de Jules et d’Edmond, les dix-neuf premières années, aussi bien qu’à partir du moment où Edmond tient seul la plume : c’est l’antisémitisme. Les Goncourt sont des conservateurs, des hommes de droite, résolument antirépublicains. L’antisémitisme est alors très répandu dans le monde littéraire, et il le sera au siècle suivant. On le trouve parfois là où l’on ne l’attend pas, et on ne le trouve pas toujours là où l’on pourrait l’attendre. Dans tout le Journal de Claudel, mystique échevelé, on chercherait en vain le moindre trait antisémite. Et de même dans les Carnets du très réactionnaire Montherlant. En revanche, on peut lire, dans le Journal de Gide, figure du progressisme et de l’intelligence sceptique, des pages franchement antisémites. Et Romain Rolland, qui sera très à l’honneur dans la IIIe République, pouvait écrire à Lucien Herr, en 1897, pour justifier son refus de s’engager en faveur de Dreyfus, qu’il était simplement antisémite.
Au reste, on ne pourrait aujourd’hui publier le Journal des Goncourt. Qu’on en juge ! « Je n’aime pas les juifs. C’est un sacrifice pour moi que d’en saluer un. » Ou bien encore : « Je ne cache pas que je suis l’ennemi théorique de la race juive. » (24 juin 1891). On verra d’ailleurs que cette hostilité n’est pas seulement théorique.
On ne saurait recopier ici toutes les citations antisémites, tant elles sont nombreuses et développées. Nous en donnerons à lire quelques-unes, rassemblées autour des principaux thèmes de l’antisémitisme. L’antisémitisme des Goncourt n’est pas le fait des circonstances, occasionnel ; il n’est pas matière à plaisanterie, fût-ce de mauvais goût ; il est permanent, constant et virulent, et sérieux, très sérieux. C’est comme une obsession.
[...]
Cet article est paru dans Causeur magazine n°44 – février 2012
Acheter ce numéro / Souscrire à l’offre Découverte (ce n° + les 2 suivants) / S’abonner à Causeur
- Edmond et Jules de Goncourt, Journal, 2 septembre 1866, tome 2, p. 34. Nous citons le Journal dans l’édition Robert Laffont, collection Bouquins, en trois volumes, Paris, 1989.