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Rien n'est perdu ! par P.-L. MOUDENC

Il m'est arrivé comme à d'autres, ces dernières années, de vitupérer la médiocrité générale de la production littéraire. Le conformisme des auteurs et des éditeurs. L'appauvrissement de la langue. En un mot, l'absence d'une oeuvre qui se détacherait sans conteste du lot, qu'on aurait envie de relire, critère probant s'il en est. C'est dire que, dans la grisaille ambiante, la moindre lueur fait figure de phare !

   Gaëlle Josse n'est sans doute pas l'écrivain (non, je n'écrirai jamais écrivaine !) du siècle. Encore que son premier roman, Les Heures silencieuses (Autrement, 2011), ait suscité des critiques louangeuses et lui ait valu un prix littéraire, certes moins prestigieux que le Goncourt. Nos vies désaccordées (1) confirme ses qualités. Une finesse d'analyse des sentiments et des passions qui s'exprime dans une langue fluide, avec des sortes d'intermèdes en prose poétique. Comme une respiration dans le flux de l'intrigue.

   Celle-ci, assez ténue pour être résumée en peu de mots : le narrateur, un célèbre pianiste donnant des récitals dans le monde entier, apprend que Sophie, la femme qu'il a délaissée au profit de sa carrière, est internée en hôpital psychiatrique, dans le Sud-Ouest de la France. Il va tout faire pour la retrouver, renouer avec elle un contact interrompu par la maladie mentale et aussi sa jalousie, son égoïsme et ses propres infidélités. Seul lien entre eux, la musique. Singulièrement celle de Schumann, atteint lui aussi par une démence dont l'amour de Clara fut impuissant à le tirer. Un couple emblématique dont le destin s'inscrit en filigrane de celui des deux héros.

   Les trois quarts du roman - la fin me paraît moins aboutie et, somme toute, plus banale - retiennent par une rare justesse de ton. François Vallier, le pianiste virtuose, prend peu à peu conscience que Sophie, artiste elle aussi, peintre tourmentée et fantasque, est l'unique amour de sa vie. Que Cristina, qui a jeté sur lui son dévolu, ne saurait jamais la remplacer. Un dévoilement progressif qui requiert maints retours en arrière et précise, peu à peu, la personnalité attachante des protagonistes.

   Autour d'eux, des comparses d'une réelle densité, eux aussi : le vieux luthier Zev Isaakovitch rescapé du ghetto d'Odessa. Sandro, le violoniste. Ou Philippe Margeret, infirmier psychiatrique qui permettra à François de renouer le fil conduisant à Sophie.

   Et puis la musique, omniprésente. Elle joue dans l'économie du roman le rôle d'un véritable personnage. Elle seule semble capable d'entamer le mutisme dans lequel Sophie est désormais murée.

   Une telle trame pourrait être celle d'un roman de gare. Il faut rendre grâce à Gaëlle Josse d'avoir réussi à éviter le piège du mélo. D'attacher son lecteur sans user de grosses ficelles. En douceur. A coups de notations justes et délicates. On attend avec impatience le troisième roman et la confirmation que notre littérature est encore capable de produire des fruits savoureux. Qu'en définitive, rien n'est perdu !

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   Une oeuvre dans laquelle on aime à se replonger, qui réserve toujours des surprises heureuses, c'est celle de Gilbert Keith Chesterton (1874-1936). Faut-il présenter cet écrivain anglais, fervent catholique, romancier, essayiste, poète, biographe, polémiste à l'humour redoutable ? Gérard Joulié, son meilleur traducteur dans notre langue (il nous a permis de connaître de lui une bonne vingtaine d'ouvrages) et, pourrait-on dire, son introducteur le plus pertinent, nous donne aujourd'hui Une brève histoire de l'Angleterre (2). Ecrite, assure-t-il dans sa préface, "avec passion et partialité", ce qui en précise d'emblée le ton. Celui d'un partisan qui rêve de faire entrer son pays, germanisé au moment de la Réforme, dans le giron  de l'Eglise catholique.

   Ce programme implique un retour au Moyen Âge. Et une lecture originale de l'histoire qui laisse paraître une haine viscérale de l'Allemagne, un amour inconsidéré de la France (ce "Michelet chrétien" vante la Révolution "qu'il a comprise tout de travers", selon son exégète !), un refus de l'argent et du commerce, la mise en pratique d'une ruralité bien comprise, réhabilitant guildes et corporations.

  "A côté de lui, écrit Gérard Joulié, marchent chez nous les ombres prestigieuses de Veuillot, de Barbey, de Drumont, de Bloy, de Péguy et de Bernanos." Voilà qui suffit à situer cet écrivain original, prince du paradoxe et cependant inspiré par une foi vibrante et passionnée.

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   Enfin, à découvrir ou redécouvrir, un auteur passé aujourd'hui de mode mais qui connut son heure de gloire, René Benjamin (1885-1948), quasiment contemporain de Chesterton. Membre de l'académie Goncourt où il fut reçu en 1938, il laisse une oeuvre abondante où les biographies (de Molière, de Marie-Antoinette, de Balzac), voisinent avec des portraits de ses contemporains (dont celui de son ami Charles Maurras), des pièces de théâtre et des satires sociales et politiques. Partisan du Maréchal Pétain pendant l'Occupation, il figura sur une des listes noires du Comité National des Ecrivains, le fameux CNE et fait, depuis, figure d'écrivain maudit.

   Xavier Soleil lui consacre une biographie dans la fameuse collection des éditions Pardès. Son Qui suis-je ? René Benjamin (3), précis, documenté, vibrant aussi, avec des allures de plaidoyer, est le premier essai sur cet écrivain dont le purgatoire aura duré plus que de raison.

 

P.-L. MOUDENC

 

1 -  Nos vies désaccordées, de Gaëlle Josse. Autrement Littératures, 144 p., 13 €.

2 - Une brève histoire de l'Angleterre, de G.K. Chesterton, traduit de l'anglais et préfacé par Gérard Joulié. L'Âge d'Homme, coll. "Revizor", 232 p., 15 €.

3 - Qui suis-je ? René Benjamin, de Xavier Soleil. Pardès, 128 p., 12 €.

Commentaires

  • Merci à Moudenc qui nous fait découvrir trois auteurs et trois ouvrages de grande qualité, devenue si rare de nos jours, surtout en littérature !

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