Dès qu'elle le voit dans la vitrine d'un magasin d'Amsterdam, Anne Frank tombe amoureuse de ce petit carnet rouge et blanc destiné à recueillir des autographes. Le 12 juin 1942, son père Otto le lui offre pour son treizième anniversaire. Elle commence immédiatement à décrire sa vie quotidienne à son amie imaginaire Kitty. Durant un peu plus de deux ans, la petite fille tient son journal sur le carnet, puis sur des feuilles. Mais ce n'est pas exactement ce récit qui sera publié après la guerre par son père, car quelques mois avant la découverte de sa cachette, Anne réécrira entièrement son journal.
Le 6 juillet 1942, trois semaines après avoir entamé son journal, Anne s'installe dans la cachette fabriquée chez Miep Gies, secrétaire d'Otto, avec ses deux parents et sa grande soeur Margot, qui tient elle aussi son journal, lequel ne sera jamais retrouvé. Une semaine plus tard, la famille Van Pels et le jeune Peter, 16 ans, les rejoignent, puis un ami dentiste, en novembre. Anne passe de longues heures, chaque jour, à écrire tout ce qui passe dans sa tête d'enfant. Elle évoque son petit flirt avec Peter, ses parents, avec lesquels elle n'est pas toujours tendre.
Bientôt, le joli carnet rouge et blanc est rempli, Anne poursuit donc sa rédaction sur des feuilles volantes. Au fil des mois, ses notes s'accumulent. En mai 1944, Anne entend sur Radio Londres (la version hollandaise) un appel aux témoignages de la population pour une publication après guerre. La jeune fille, qui rêve d'être écrivain, décide alors de réécrire son journal pour lui donner une forme plus littéraire, plus présentable. Elle censure les passages trop personnels, où elle évoque, par exemple, sa sexualité, et améliore le style. Elle se consacre plusieurs semaines à ce travail de réécriture, tout en continuant à tenir son journal quotidien.
"Incroyablement captivant"
Mais elle ne peut le mener à bout, car le 4 août 1944, la cache est découverte par les Allemands. Anne est embarquée avec le reste de sa famille, elle doit abandonner les deux versions de son journal derrière elle. Par miracle, parce que l'officier qui a procédé à l'arrestation est autrichien comme elle, la propriétaire de la maison Miep Gies est relâchée. Elle revient donc chez elle, trouve les journaux d'Anne Frank, qu'elle fourre, sans même les lire, dans un tiroir en espérant pouvoir les lui restituer à son retour.
Vain espoir. Seul son père Otto survit aux camps. C'est donc à lui que Miet remet le joli carnet et toutes les autres notes d'Anne. Otto en est profondément bouleversé. En août 1945, il écrit à sa mère, qui a survécu elle aussi : "Par un grand hasard, Miet a réussi à sauver un album de photos et le journal d'Anne. Je n'ai pas eu le courage de le lire." Au bout d'un mois, il ose enfin ouvrir le carnet. Il lit à dose homéopathique, deux ou trois pages par jour. Plus lui aurait été impossible. Il écrit à nouveau de sa mère : "Je ne peux pas lâcher le journal d'Anne. Il est si incroyablement captivant, je n'abandonnerai jamais le contrôle du journal parce qu'il contient trop de choses que personne ne devrait pouvoir lire. Mais je ferai une sélection."
Parfois émouvant, souvent douloureux
Otto, à qui Anne ne se confiait guère, découvre la vraie personnalité de sa fille. C'est une extraordinaire révélation. C'est parfois émouvant, c'est souvent douloureux. "Je n'avais aucune idée de la profondeur de ses pensées et de ses sentiments." Il lit les deux versions : celle rédigée au jour le jour et la version littéraire. Après consultation de ses proches, il décide d'offrir au monde le récit de sa fille. Mais quelle version en donner ? La version primitive est incomplète, les feuillets correspondant à l'année 1943 manquent pour la plupart, tandis que la version réécrite est moins spontanée, plus littéraire et s'interrompt trois mois avant l'arrestation.
Otto choisit de réaliser un mix des deux. Il part de la version littéraire qu'il agrémente de nombreux extraits tirés de l'originale (sauf pour l'année 1943). Par exemple, il réintroduit le passage évoquant la brève idylle de sa fille avec le jeune Peter. Mais il en supprime d'autres, comme celui où sa fille critique violemment ses parents. Anne est souvent sévère avec sa mère. Mais globalement, le père d'Anne Frank n'est pas le censeur que l'on présente. Au contraire, il rajoute à la version littéraire des passages non repris par sa fille. Plusieurs éditeurs refusent le texte. Finalement, les éditions Contact publient le journal d'Anne Frank le 25 juin 1947, en allemand (Otto a traduit le néerlandais d'Anne). Le titre original est : L'annexe. Lettres du journal du 14 juin 1942 au 1er août 1944". Les éditions Contact le tirent à 1 500 exemplaires.
En 65 ans, 25 millions d'exemplaires du Journal d'Anne Frank ont été vendus, ce qui en fait l'un des dix livres les plus vendus au monde. Aujourd'hui, le carnet rouge et blanc profite d'un juste repos au musée d'Amsterdam.
Le Point- 12/06/12
Commentaires
On s’en doutait, mais on n’a pas le droit d’en dire plus.
effectivement , pas de commentaires !!
salutations.
Le seul commentaire personnel que je ferai, c'est que je ne comprends pas comment un père peut livrer au public le journal intime de son enfant, laquelle était morte et ne pouvait donner son consentement à sa publication.
Oui Gaëlle, c'est une sorte de viol ! Cela ne me serait jamais venu à l'idée de lire celui que ma fille tenait ! Impensable !
Mais pour une certaine engeance, il n'y a pas de petits bénéfices ! Et dans le cas présent, coup double : le fric et la propagande shoatique !
Le mieux, c'est d'attendre une quatrième version....subsidiaire.