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Quand la peste réapparaît...

Alexandre Yersin  (1863-1943)

 

Deux nouveaux cas de cette maladie extrêmement contagieuse ont fait leur apparition début juin aux États-Unis. Alors qu'aucun vaccin n'a encore été trouvé, pourrait-elle faire autant de ravage aujourd'hui qu'au Moyen Âge, où la peste noire a décimé la population européenne ? Réponse d'Élisabeth Carniel, responsable de l'unité Yersina de l'Institut Pasteur et du centre national de référence de la peste.

Le Point.fr : Pourquoi la peste réapparaît-elle ?

Élisabeth Carniel : Elle n'a jamais disparu. On peut constater une réémergence dans des pays où la peste avait disparu depuis plusieurs années. C'est le cas de l'Algérie, où il n'y avait pas eu de cas recensé depuis la fameuse peste de Camus ; la maladie est revenue dans la région d'Oran en 2003, puis dans une autre région du pays en 2008. En Jordanie, elle est revenue en 1997, après 70 ans de silence. Elle ne cause plus autant de cas qu'elle a pu le faire au Moyen Âge ou plus récemment, lors de la troisième pandémie au début de XXe siècle, mais elle a toujours persisté dans des foyers où elle a continué à être active, et notamment aux États-Unis. Il faut savoir qu'il y a une dizaine de cas parfois mortels tous les ans aux États-Unis, notamment sur la côte ouest.

Comment l'expliquer ?

Lors de la troisième pandémie de peste qui est partie de Hong Kong au début du XXe siècle, les bateaux apportaient des rats et des puces infectés. Plusieurs bateaux ont été amarrés à San Francisco et à Los Angeles. Et donc d'autres rongeurs ont été infectés et vivent maintenant très bien dans les zones semi-arides et les parcs nationaux américains. Le foyer est maintenant permanent et bien établi dans toute cette partie ouest des États-Unis.

Existe-t-il d'autres foyers dans le monde ?

Bien sûr. L'Afrique est le plus gros foyer de peste actuellement recensé dans le monde. L'Asie, l'Amérique latine et l'Amérique du Nord sont également touchées. Au cours des 20 dernières années, 26 pays ont déclaré des cas de peste auprès de l'OMS. Il y aurait eu entre 1990 et 2009 au moins 50 000 cas de peste humaine. Les chiffres de l'OMS sont toutefois à manipuler avec précaution, certains cas ayant été surestimés et d'autres sous-estimés.

Rapporte-t-on des cas en France ?

Non. Les derniers cas remontent à 1945, en Corse. La peste semble avoir disparu de France, et d'Europe d'une façon générale.

La peste reste une maladie qui n'a pas besoin de l'être humain pour persister...

Tout à fait. L'homme n'est qu'un accident dans le cycle de la peste. Le cycle naturel, c'est celui d'un rongeur qui est infecté, qui porte des puces qui vont s'infecter. Le rongeur meurt et ces puces vont infecter un autre rongeur, elles vont lui transmettre la peste. L'animal va alors développer la maladie. L'homme dans tout cela n'est pas nécessaire au maintien de la maladie et c'est bien pour cela qu'elle se fixe à bien des endroits et qu'elle peut rester silencieuse pendant longtemps.

Comment la maladie se transmet-elle à l'homme ?

Le plus souvent à partir d'une puce d'un rongeur infecté qui meurt. La puce préfère rester sur le rongeur, mais si celui-ci meurt, elle va sauter sur l'homme et le piquer. L'homme va alors développer ce qu'on appelle la peste bubonique, la forme la plus courante et classique de la maladie. Quand le bacille (bactérie en forme de bâtonnet droit, NDLR) se dissémine dans l'organisme, il colonise les organes, la rate, le foie ou même le sang, et provoque une septicémie mortelle. Chez certains patients, elle touche les poumons, on parle alors de pneumonie pesteuse. Et là, il peut y avoir une transmission d'homme à homme par la toux.

Comment s'en prémunir ?

On peut prendre des antibiotiques, mais dans les zones endémiques, les personnes ne peuvent pas prendre des antibiotiques en continu. La meilleure façon de lutter contre la maladie dans ces zones, c'est l'assainissement du milieu. C'est possible et facile dans des pays développés, mais ça l'est beaucoup moins à Madagascar ou en République démocratique du Congo, qui sont des foyers très actifs.

Comment expliquer qu'il n'existe aucun vaccin ?

Lors de la troisième pandémie, en 1894, le pasteurien Alexandre Yersin a identifié que la peste était due à un bacille. Différents moyens de lutte sont alors apparus. Le premier était un vaccin développé à l'Institut Pasteur de Madagascar. Le problème, c'est qu'il s'agissait d'une souche vivante atténuée avec des effets secondaires qui pouvaient être extrêmement violents. Un vaccin qu'on ne peut pas utiliser aujourd'hui.

Plusieurs équipes dans le monde et nous-mêmes travaillons au développement d'un nouveau vaccin qui serait beaucoup moins pathogène, tout en protégeant bien. Aujourd'hui, aucun n'est disponible sur le marché. Cela est dû aussi aux antibiotiques, qui sont très actifs. Il est parfois plus simple de traiter au cas par cas que de vacciner des populations importantes. D'autre part, la peste ne touche qu'une petite partie des gens, et dans des pays en développement. Il n'y a donc pas eu d'efforts importants, financiers notamment, des pays développés, qui considèrent cette maladie comme anecdotique.

Ferait-elle autant de ravages aujourd'hui qu'hier ?

A priori, pas comme au Moyen Âge, où l'on ne connaissait pas la cause de l'infection. On pensait d'ailleurs que c'était une punition divine. Il n'y avait rien d'efficace pour limiter son effet. De nos jours, on sait que la peste est due aux rongeurs, on peut donc assainir l'environnement pour essayer d'éviter le contact entre l'homme et l'animal. Nous savons aussi que la transmission se fait à travers les puces, et nous pouvons donc désinsectiser les habitations où des cas de peste sont survenus. Enfin, nous avons des antibiotiques qui permettent de guérir le patient s'il est traité suffisamment tôt.

Nous avons aujourd'hui des moyens de lutte environnementaux et des traitements qui nous font croire que la peste ne peut plus constituer le même fléau qu'elle a pu être dans le passé. 

 

Le Point - 20/06/12   

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