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Quand Madame de Sévigné s’inquiète de la santé de Madame de Thaubirat

 

Lettre en confidence à ma cousine Madame de Lobinière

Ma bonne amie et chère parente,

Versailles frétille, par ces belles journées de fin d’été, d’une affaire somme toute banale mais qui, en ces temps de grandes incertitudes, nous prend quelques amusantes proportions. Vous savez comment est la Cour et de quelle façon le peuple l’observe. Laissez-moi vous narrer la chose, et vous montrer comment le futile rejoint de manière imprévue les choses importantes du royaume.

Vous avez en mémoire cette Madame de Thaubirat dont le Roi, pour des raisons qui demeurent mystère aux yeux du plus grand nombre, s’est entiché au point de la faire voyager de ses lointaines Amazonies pour lui confier, au grand dam des sachants de l’Université, le cabinet des Lois Stupides, des Décrets sans Application et des Circulaires Égarées en Chemin.
Eh bien figurez-vous, ma chère, qu’ayant à peine terminé une harangue aux escholiers de la Justice Royale de Bordeaux, elle fut, malgré une fort solide carrure et un verbe de tribun, prise d’un vertige qui l’obligea à s’allonger séance tenante sur le plus proche canapé.

Une favorite ainsi foudroyée (je vous rassure cependant, les nouvelles parvenues ce soir d’Aquitaine nous indiquent Dieu soit loué qu’il ne s’agissait que d’une fugace vapeur, ne nous moquons pas de ce qui peut nous arriver au poser de la plume qui nous joint) ne pouvait l’être sans qu’aussitôt le train fort chrétien de l’assistance ne fût mis en oeuvre. C’est ainsi que notre bonne ville de Bordeaux fut occupée, le jour durant, par les cloches, trompes, buccins et tambours de tout ce que la cité compte de secours aux personnes et c’est bien une grande chance de pouvoir ainsi disposer des bras, cerveaux et attelages qui manquent tant aux plus démunis de notre beau pays de France. Mais chut, c’est ainsi et ni vous ni moi n’y pouvons grand chose.

En bref, la nouvelle de l’indisposition de Madame de Thaubirat à peine parvenue au Château, le Roi fit mander auprès d’elle tout ce que la Guyenne compte de médecins et ce fut, au chevet de la malheureuse, un fort touchant ballet de toges noires, de bonnets pointus et de mines perplexes, la question étant de savoir si l’on conservait en province ce présent quelque peu encombrant ou si on l’installait dans la première diligence pour le reconduire à son point de départ, j’entends par là la capitale des Yvelines.

En fin de compte, le « colis précieux » est à cette heure encore conservé, saigné et purgé, aux Hospices de Bordeaux et en toute franchise, je me prends à affirmer, moi qui suis volontiers sujette aux évanouissements, que sa santé n’en sera pas davantage affectée que si on avait décidé de lui faire entreprendre un long et aléatoire voyage en si intense faiblesse.

Alors, la drôlerie dans tout cela me direz-vous? J’y viens. Nous avons vu et entendu la jérémiade réglementaire de tous ceux que le malheur des autres semble accabler, avec le nuancement qui s’impose : les uns sincères et contristés pour de bon, les autres, bien plus nombreux mais ainsi va la nature humaine, anxieux de savoir à quel moment le Roi ferait appel à eux pour suppléer la subite absence de l’affligée. Ce petit jeu des hypocrites est toujours plaisant à observer et ma foi, je m’y amuse assez, l’opinion dominante étant qu’une fois rétablie, Madame de Thaubirat serait bien inspirée de s’embarquer à La Rochelle pour retrouver le fil un peu moîte à ce qui se dit des rus et rivières de sa jungle natale.

L’esprit ne manque pas en l’occurrence (c’est heureux, nous sommes en France, tout de même!). D’aucuns, non sans malice, font remarquer que le diagnostic de la Faculté bordelaise, vertige par épuisement, a de quoi faire quelque peu sourire, Madame de Thaubirat ayant pour l’essentiel de son zèle et en une semaine seulement réduit en cendres la législation que son prédécesseur aux Sceaux, ce pauvre, terne, trise, insipide et déjà oublié Monsieur de Mercier, lui-même succédant à la très séduisante et exotique (tiens, elle aussi, nos souverains sont décidément fascinés par la Sauvagerie, au sens noble s’entend) Madame de La Datte, avait mis près de deux ans à bâtir. On va même jusqu’à murmurer que si quelqu’un pouvait tourner de l’oeil dans cette histoire, c’était bien lui!

La méchanceté voisine avec l’ironie, vous ne l’ignorez point. On glose aussi sur l’étrange absence de notre évanouie-en-Gironde tandis que les faubourgs de Mulhouse et d’Amiens étaient mis à feu par une populace de barbaresques et de gypsies (j’adore ce mot, il sonne comme une complainte carpathe) prétendument affamée. Épuisée par tant de vacances? Nous vivons des temps étranges, ne trouvez-vous pas?

Et le Roi? me demanderez-vous. J’imagine d’ici votre inquiétude à sonder la sienne (d’inquiétude). Eh bien, ma chère, il se trouve bien désappointé à cette heure. Figurez-vous qu’au moment où il pensait le peuple capable de se rassembler en ferveur pour brûler des cierges à l’adresse de l’évaporée de Cayenne, le baladin nommé Alidé (vous savez, ce fort en gueule au visage de boiserie attaquées par les termites), remettait lui aussi son sort entre les mains de la science, et que pensez-vous qu’il advînt? Je vous le donne en cent! Le vertige de Madame de Thaubirat est encore aujourd’hui absolument occulté par celui du gratteur de mandoline et nous voyons là, de manière évidente, l’errance dans laquelle le vulgaire, quittant les rivages de la simple raison, se vautre.

Voilà, ma bonne amie, où nous en sommes. Je vous embrasse avec effusion, et avec un brin de nerfs aussi car nous attendons, entre tritons et Trianon, que se continue, sur la musique de notre bon Lully, la comédie en cours dans laquelle Mesdames de Poitiers et d’Alsace tiennent les rôles-maîtres. Nous sommes là dans une toute autre dimension, la gazette en fait déjà son commerce quant à l’automne à venir, il ne verra sans doute pas tomber que les feuilles des arbres!

Versailles sera toujours Versailles, enfin… espérons-le malgré tout.

De tout cela je vous ferai récit. Promesse et devoir!

Votre bien fidèle et dévouée,

de Rabutin-Chantal.

Alain Dubos

RIPOSTE LAÏQUE

Commentaires

  • Bravo M. Dubos ! Quel régal que de nous replonger dans la finesse de notre magnifique langue francaise ...
    Quant à la satire, elle vaut son pesant de bananes ! (guyannaises)

  • @ Décée: j'ai trouvé cette "lettre" très drôle et bien tournée, et elle m'a fait rire! Excellent pastiche!

  • Je connais beaucoup de femmes menauposees et aucunes d'elles n'eprouvent le besoin de faire un tel cinema pour une bouffee de chaleur.
    Quelle honte!

    Comme elle est villaine!

  • nous vivons des temps étranges disait-elle à son époque , que penserait-elle en voyant les notres , surement pas du bien!!
    salutations.

  • Excellent pastiche ! Bravo Alain Dubos !

Les commentaires sont fermés.