Qu'une jeune femme perde son enfant en accouchant seule, dans une détresse totale, sur une aire d'autoroute, parce que les maternités proches de son domicile ont été fermées pour cause d'économies budgétaires et qu'elle n'a donc pas pu arriver à temps aux autres plus lointaines, en dit long sur l'état de délabrement moral et social de notre monde prétendument moderne. Car c'est bien là l'épouvantable drame qui s'est produit, ce vendredi 19 octobre 2012, dans ce pays réputé hautement civilisé qu'est la France, en plein coeur de notre Europe dite démocratique.
A-t-on seulement pris l'exacte mesure de cette tragédie, qui s'avère bien plus, tant dans sa dimension humaine que dans sa portée symbolique, qu'un malheureux fait divers? Car ce qu'elle révèle en profondeur, par-delà l'émoi qu'elle aura légitimement suscité au sein de la population, c'est, en cette sordide réalité des faits, l'invraisemblable égoïsme, les cyniques calculs de bas étage et la très coupable irresponsabilité de trop de nos dirigeants, qui ne trouvent rien de mieux à faire, pour réduire les dépenses publiques, que de mettre ainsi en danger la vie de ceux-là mêmes qui les ont généreusement élus.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit en ce funeste cas : faire des économies, encore et toujours, sur le dos des gens, et en l'occurrence de ce bien suprême qu'est leur santé, tandis qu'on ne cesse de leur demander en même temps, par ce type de sacrifice financier, de contribuer à l'"effort national" afin que les caisses de l'État ne soient pas plus vides encore.
L'État devenu Léviathan
L'État, précisément ! Serait-il donc en train de devenir subrepticement, par le plus insidieux des paradoxes, ce redoutable et tentaculaire monstre - qu'un philosophe tel que Thomas Hobbes appela naguère, de biblique mémoire, "le Léviathan" - destiné à nous broyer, fût-ce au prix des meilleures intentions, plus qu'à nous protéger ?
Certes, n'est-ce pas le lieu ni le moment, ne fût-ce que par cet élémentaire respect dû aux morts, et surtout à une aussi indicible peine, de s'adonner à quelque récupération politique, quelle qu'elle soit. Nous n'aurons donc pas le mauvais goût de stigmatiser ici tel ou tel gouvernement, pas plus que nous ne tomberons dans ce vil piège consistant à accuser tel ou tel ministre. Les grandes douleurs, du reste, ne sont-elles pas muettes, comme disait, en sa très digne sagesse, le poète ?
Mais enfin : il n'en reste pas moins vrai que, face à pareil drame, un sérieux examen de conscience s'impose de toute urgence, par-delà tout clivage idéologique, pour l'ensemble de nos sociétés occidentales. Car ce désert médical où a ainsi péri ce nouveau-né, probablement dans d'atroces souffrances et les pires angoisses pour la mère, c'est aussi, et peut-être surtout, notre propre désert moral, sinon notre propre misère sociale, et peut-être bientôt, si nous n'y prenons garde, notre propre vacuité humaine, voire, tout simplement, notre propre néant.
Martyrs et sacrifices
Il est vrai que chaque époque, fût-elle la plus matérialiste ou la moins religieuse, a ses martyrs. Mais il ne faudrait tout de même pas que les entrailles ensanglantées de cette jeune femme ainsi lâchement abandonnée sur une aire d'autoroute, alors même qu'elle était censée donner le jour à son bébé, deviennent la douloureuse préfiguration, et non seulement sur le plan symbolique, d'un nouveau massacre, fût-il involontaire, des innocents : des enfances sacrifiées, pour plaire à ces hideux Léviathan que sont en train de devenir insensiblement nos États capitalistes, sur l'autel - le monstrueux autel - de l'argent !
Ce sont là des crimes qui s'ignorent et qui, pour innommés qu'ils soient, n'en demeurent pas moins innommables.
* Philosophe, auteur de "La Philosophie d'Emmanuel Levinas - Métaphysique, Esthétique, Éthique" (Presses Universitaires de France).
Commentaires
En réalité, il ne s'agit pas d'une insuffisance des crédits alloués à la santé publique, mais d'un effroyable gaspillage . Et ce gaspillage , ce pillage de l'argent des contribuables a commencé depuis des décennies .
Mais en France , au lieu de pointer les vrais problèmes , on hurle toujours à l'insuffisance des crédits .
Ce n'est pas le capitalisme qui est en cause , mais une politique socialiste, basée sur l'irresponsabilité , qui a profité au monde médical , aux laboratoires , aux fainéants grands consommateur médicaux, aux fraudeurs de tous poils , aux populations allogènes.
@ anonyme: je suis totalement de votre avis. La conclusion de Daniel Schiffer est erronée!
Il faudrait revenir aux sage-femmes du passe qui venaient a domicile..C'etait bien autre chose que de donner naissance dans un hopital...ou sur la route!
Gaelle , on ferme les maternités et on ouvre les salles de shoot, avec la bénédiction de certains politiques , bon! certains (es) n,ont toujours pas compris et voteront pour les mémes !
la messe est elle dite ??
salutations.