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Reprendre son patronyme juif, la fin du nom français

Par Natalie Felzenszwalbe Avocate et Céline Masson Psychanalyste, Auteures de : «Rendez-nous nos noms ! Quand des Juifs revendiquent leur identité perdue», éditions Desclée de Brouwer, 2012.

 

C’est un fait relativement méconnu qui vaut d’être rappelé. Après-guerre, de nombreux Juifs ont francisé leur nom ou en ont carrément adopté un autre dans l’ombre portée de la Shoah et un climat d’antisémitisme persistant. Des décrets de circonstance qui facilitaient les changements de nom «à consonance israélite» les y ont encouragés.

Ainsi, dans la France des années 50 - 60, des Rozenkopf devinrent des Rosent, des Frankenstein des Franier, des Wolkowicz des Volcot, des Rubinstein des Raimbaud, des Fuks des Forest, etc. Des décennies durant, le Conseil d’Etat s’est opposé au retour au patronyme d’origine, réclamé par certains intéressés qui se sentaient finalement étrangers à leur nouveau nom, au double motif de l’immutabilité du nom et de l’absence de fondement à reprendre un nom «à consonance étrangère».

Certains ont alors eu recours à l’artifice du pseudonyme, ou au nom d’usage pour faire vivre leur «vrai nom», celui de leur père ou de leur grand-père, sans toutefois pouvoir le transmettre.

Mais c’est sans doute ailleurs qu’il faut chercher la raison de ce refus de principe. A la Libération, le Conseil d’Etat n’était pas tant animé par un souci de francisation que par celui de lutter contre les discriminations vécues et subsistantes. Il manifestait ainsi, comme un symptôme, la culpabilité de la France et de ses institutions à l’égard des Juifs français et étrangers pendant la guerre. Après des décennies de silence, de refoulement peut-être, des familles désirent retrouver leur nom d’origine. Un collectif, la Force du nom, a été constitué en 2009 pour interroger et contester d’une part les motifs tirés de la consonance étrangère et, d’autre part, l’application du principe d’immutabilité du nom.

 

Ce principe de l’immutabilité a été jusque très récemment appliqué sans discernement, sans prise en compte des circonstances historiques qui expliquaient les traumatismes à l’origine des demandes de changement de nom et de francisation. Par ailleurs, cette position apparaît désormais en profond décalage avec les réformes législatives importantes qui, depuis une vingtaine d’années, ont révisé l’état civil, la filiation et notamment modifié les règles d’attribution du patronyme, qui accordent une large place à la volonté individuelle. Si ces changements alignent la France sur la conception libérale qui prévaut le plus souvent à l’étranger, cette libéralisation n’est que partielle car soumise au politique et aux nouveaux centres d’intérêt de l’Etat (sécurisation de l’identité et des titres d’identité, informatisation de l’état civil, etc.).

 

Surtout, l’usage par le Conseil d’Etat de la notion de consonance étrangère est un alibi douteux qui pose la question de savoir ce qu’est un «nom français» et un citoyen français avec un nom «venu d’ailleurs».

 

Certains patronymes portés par des Juifs sont-ils moins «français» que bien des noms bretons, basques, corses ou alsaciens ? La question mérite en tout cas d’être posée. Elle renvoie aux récents et calamiteux débats sur l’identité nationale ou encore sur la pureté de la langue française avec pour toile de fond une définition excluant ce qui est autre en chacun de soi.

 

Depuis quelques mois, l’administration a modifié sa position et donne une suite favorable à ceux qui veulent porter et transmettre le «nom juif» jadis abandonné. Elle semble avoir été sensible à l’argumentaire du collectif la Force du nom selon lequel une réparation pleine et entière doit être faite. Réparation judiciaire marquée dans les années 80 et 90 par les procès Barbier, Touvier et Papon. Réparation politique ensuite en 1995 avec le discours de Jacques Chirac au Vél d’Hiv qui affirmait que la rafle du 16 juillet 1942 avait conduit «la France», et non plus seulement le régime de Vichy, à commettre l’irréparable. Réparation matérielle encore, celle des spoliations dont les Juifs avaient été victimes durant l’Occupation. Et réparation symbolique enfin, avec la possibilité de reprendre son nom juif. «L’entreprise nazie était conçue comme meurtre du Nom : rassembler tous les corps qui répondent au nom juif, nous dit Daniel Sibony, pour qu’en refermant sur eux la porte des camps de la mort ou des fosses communes on obtienne que ce Nom soit sans vie.» Reprendre le nom perdu est, en effet, un symbole réparateur tout autant qu’un acte de fidélité au peuple juif et un refus obstiné de l’effacement. Ce geste manifeste, par-dessus tout, un désir de vie.

 

Article publié dans Libération du 1er mars 2013.

Crif

Commentaires

  • et pour nous : rendez-nous notre pays!!
    salutations.

  • "un acte de fidélité au peuple juif "
    Et la fidélité à la France ?
    Les juifs qui condamnent, avec l'aide des tribunaux, les aspirations des peuples à préserver leur identité ethnique et culturelle, sont très jaloux de leur propre identité.

  • On ne leur a pas demande de changer leur nom!
    Au contraire, on voudrait bien qu'ils les reprennent et pour cause :-)
    On serait surpris que des noms bien francais en cachent d'autres , pas francais du tout!

  • @ nelly: des gens vont être surpris! On donne quelques exemples dans cet article: par exemple Fuks devenu Forest ou Fourest...

    A Paris, j'ai eu une amie juive (ma voisine) qui avait un nom connu. Sa famille n'avait pas changé de nom, mais son père avait fait baptiser ses deux filles. Pour le reste, elle m'a appris que les filles suivaient le même enseignement religieux à la synagogue que les garçons. Comme sa soeur, elle était en ruopture familiale à cause de ses amours avec un chrétien.
    Je me souviens qu'elle me disait: "comme tu as de la chance d'être chrétienne! Tu peux aimer qui tu veux, et te marier librement, sans être rejetée par tes parents!"

  • @ Gaelle : je puis témoigner de situations tres différentes, en particulier d une famille juive sepharade dont 2 membres de la fratrie firent il y a de nombreuses années des mariages mixtes bien acceptés, et d autres cas dans la génération suivante, membres de couples non mixtes.

  • Soljenitsyne a noté cette propension qu'avaient les juifs bolcheviques pour changer de nom et adopter des pseudonymes russes :
    Trotsky (Bronstein), Kamenev (Rosenfeld), Zinoviev (Apfelbaum), Voldarski (Goldstein), Sverdlov (Yankel), Radek (Sobelson),etc...il en cite à longueur de pages ("Deux siècles ensemble"-Payot).

  • @ Décée: dans le cas que je rapporte, il s'agissait de riches familles juives askénazes, vivant donc à Paris, et qui n'ont pas accepté du tout que ces deux soeurs, dont l'une donc était une de mes amies, se marient avec des chrétiens. Une des deux soeurs s'est mariée contre le gré de son père avec celui qu'elle aimait et a eu deux enfants, que leur grand-père n'a jamais voulu voir.

  • @ Gaelle : voila la différence en effet entre ashkénazes (peuple khazar originaire d Europe centrale) et sépharades originaires de Palestine, moins sectaire en général.

  • @ Décée: j'ai appris beaucoup de choses que j'ignorais, avec cette amie juive askénaze, intelligente et sensible. Mais je ne peux pas, bien sûr, les raconter sur le blog. Elle ne m'a jamais parlé, ni elle ni sa soeur aînée, de la Shoah.

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