Vie et moeurs du néo-bobo
Le bobo nouveau est arrivé. Il diffère de son aîné des années 70. Plus encore, de leur ancêtre, le snob que connurent Thackeray, Proust ou Waugh. Involution. Le snob, sine nobilitate, singeait la noblesse à laquelle il rêvait d'appartenir. Le bobo, bourgeois-bohème, est descendu d'un palier dans l'échelle sociale. D'abord un bourgeois, au sens flaubertien. Avec le conformisme que cela suppose. Le terme "bohème" implique son aspiration à sortir de sa condition par le biais de l'art, de la fantaisie. Vaste programme qui requiert un effort de tous les instants. Son descendant ? Plus tout à fait un bourgeois, si on se réfère au sens étymologique. Le néo-bobo n'habite plus les arrondissements chics de la Capitale. Il a émigré vers la province. Singulièrement les régions rurales. Ce n'est pas sans effet sur son aspect, ni son comportement. Petite revue de ses us et coutumes.
Art : par principe, il s'enthousiasme pour tout ce qui est nouveau. Fidèle client des galeries vouées à l'art conceptuel, des cinémas et des théâtres d'avant-garde. Décentralisés et dûment subventionnés. D'autant plus radicaux dans leurs choix esthétiques (il faut concurrencer Paris sur son terrain !).
Bourgeois : en dépit ou à cause de nombreux points de convergence, le "bourge" est considéré comme l'ennemi majeur. Sans doute un effet pervers de la consanguinité.
Cuisine : nouvelle, bien sûr. Deux brocolis et trois carottes. Mais, en douce, un magret aux haricots tarbais. Histoire de s'adapter aux goûts du pays.
Démocratie : Le néo-bobo affiche des idées de progrès. Or, pour lui, le Progrès, qu'est-ce, sinon la démocratie en tous domaines ? CQFD.
Education : adepte de l'égalité des chances, il ne répugne pas à inscrire ses enfants dans les établissements huppés. Ou, à l'inverse, dans des écoles alternatives, furieusement innovantes.
Finances : l'argent ne fait pas le bonheur. Soit. Mais mener le train d'un néo-bobo suppose des revenus non négligeables. L'ostentation a un prix.
Gouvernement : on lui pardonne tout, puisqu'il est de gauche. Du reste, de nombreux néo-bobos peuplent les assemblées territoriales où l'on se retrouve entre soi.
Haschich : sa consommation est à dépénaliser. Ainsi va le progrès. Comme le mariage homo et la procréation assistée. Et puis, quelle tranquillité que de savoir ses enfants dans la légalité.
Idées : le néo-bobo en a peu de personnelles. Elles sont toutes reçues. Qu'importe ? Il suffit de s'appuyer sur des références prestigieuses. "Comme me disait l'autre jour X, qui enseigne la philosophie..."
Jazz : il l'aime, par définition. Surtout bien ennuyeux, bien cérébral. Car il ignore tout des canons et de l'histoire de cette musique dont il disserte pourtant avec un aplomb désarmant.
Karaté : la mode du judo s'estompant, celle du karaté a pris le relais. Les enfants du néo-bobo sont inscrits au club le plus proche. Affaire de standing.
Littérature : il faut avoir lu certains livres. Les autres n'existent pas. Les pages culturelles de Télérama et des Inrocks font office de Bible. Leurs engouements et leurs ukases sont indiscutables.
Migration : fini le Luberon, terre d'élection des précurseurs. Le néo-bobo a choisi d'autres contrées. Principalement la Gascogne, à la suite de quelques acteurs branchés. L'instinct grégaire a fait le reste. Et le retour à la terre a un tel parfum de Flower Power.
Nature : l'écologie a trouvé chez le néo-bobo un fervent zélateur. Végétarisme et toilettes sèches, lutte contre l'effet de serre. Il pétitionne à tout-va. Tant qu'on ne touche ni à sa piscine, ni à son quatre-quatre...
Occasion : du dernier chic, la vieille voiture, achetée "pour une bouchée de pain" chez un petit garagiste, "une perle qui a des doigts en or". Pour les longs trajets, toutefois, la grosse Mercedes flambant neuve.
Paysan : il est de bon ton d'en compter au moins un parmi ses relations. Pour la couleur locale. Et puis, José Bové, quelle figure emblématique ! Et quel type formidable !
Question : Le néo-bobo n'a cure des questions, fussent-elles existentielles. Fort de ses certitudes en tous domaines, il leur préfère les réponses confortables que lui fournit la presse de gauche
Religion : hormis celle du Progrès, il y est hostile et bouffe du curé. Avec une férocité comparable à celle de Témoignage chrétien ou de Golias. Le bouddhisme ("qui n'est pas une religion !") bénéficie toutefois de son indulgence, et même de sa sympathie.
Santé : le néo-bobo prône les médecines alternatives, se déclare contre les vaccins et les antibiotiques. Quand sa température dépasse trente-huit degrés, il se gave de médicaments allopathiques. On ne plaisante pas avec la santé !
Technologie : prêt, par souci d'"authenticité", à adopter la bougie et le feu de bois, il ne saurait vivre sans la technologie la plus sophistiquée, tablettes I pad et GPS.
Uniforme : A exécrer. Sauf le jean délavé et la chemise de flanelle de grande marque. Ils signent le néo-bobo et permettent de se reconnaître entre soi.
Vintage : seul ce qui porte cette étiquette, objets, meubles, disques, tableaux, trouve grâce à ses yeux. Seule entorse au culte de l'avant-garde.
Water polo : s'intéresser à un sport rare (sans aller jusqu'à le pratiquer), ça vous a une autre allure que suivre les résultats de la Ligue 1 de football !
X (film): féministe hostile à la prostitution et à toute forme d'amour tarifé, il ne dédaigne pas, pour stimuler sa libido, de jeter un oeil sur les films X où d'infortunées créatures sont traitées comme du bétail.
Yoga : avec la psychanalyse, indispensable à l'équilibre du néo-bobo auquel il est censé procurer sinon la sagesse, du moins la sérénité.
Zen : encore un terme galvaudé, mais "tendance". Le néo-bobo entretient volontiers un jardin zen et s'ingénie à créer chez lui une atmosphère apaisante, grâce aux huiles essentielles qui ont désormais remplacé l'encens. Cela ne va guère plus loin.
J.A.
Commentaires
Bravo à Jacques Aboucaya pour ce bel exercice de style pour définir le ‘néo-bobo’. Une seule petite remarque : j ‘aurais bien terminé le paragraphe « démocratie » par ‘CFDT’ !
Ah ! Le bobo "zen" c'est toute une histoire !!!
Me voilà rassuré . Je ne réponds que très imparfaitement au personnage décrit impitoyablement par Aboucaya .
Je suis en retard de plusieurs générations et je m'en félicite .
Il faut remercier le biographe de'Albert Paraz car son portrait ne déforme pas .
N'oublions pas les bobos qui se lavent les mains en pretextant le fameux "kharma" - une belle pirouette intellectuelle permettant de fuir ses responsabilités !