Le 17 septembre 2013
Lisant Utoya, le lecteur éprouve dès la première page un malaise certain. Il est sensé lire le récit – soit la relation écrite d’un fait – de l’expédition exterminatrice d’Anders Breivik, en marche pour assassiner à coups de pistolet automatique et de fusil à lunette des adolescents rassemblés sur une île. Or ce prétendu récit est rédigé à la première personne du singulier, ce qui identifie, de fait, l’auteur au meurtrier.
Laurent Obertone, par une stupéfiante métamorphose, se glisse non seulement dans la peau mais dans le cerveau de Breivik. Il pense, agit pour lui. Il a ses états d’âme, ses émotions, éprouve ses tracas. Voici le temps du premier meurtre. Obertone-Breivik sent la brise caresser son visage, regarde le ciel moutonneux, hume les odeurs d’une paisible nature… Il est surtout soucieux de l’efficacité de ses tirs, achève d’une ou deux balles dans la tête le garçon et la fille qui agonisent, toujours soucieux de bien faire le ménage.
On est ici plongé dans une totale subjectivité que l’auteur brise, par une subtile culbute, en intercalant dans sa narration la citation des rapports d’autopsie des légistes : la balle est passée par ici, elle est ressortie par là… On a ainsi le pseudo récit des soixante dix-sept exécutions. C’est long, très long. On peut être choqué par cette complaisance morbide, véritable catalogue des hauts faits de l’assassin.
Que l’on ne se méprenne pas, Obertone-Breivik pense. Il est le surhomme décidé à éliminer les larves plus ou moins grabataires qui polluent son univers. Il chante la compétition, paraît être sensible à l’eugénisme et à la sélection naturelle. Cela a des remugles d’une histoire nauséabonde d’un passé récent, quand la civilisation occidentale risqua d’être emportée par la démence de théories raciales. Il faut certes se méfier de rapprochements hâtifs et excessifs avec l’hydre nazie. Néanmoins, comment ne pas se sentir perturbé devant certains propos et considérations infiniment contestables.
Breivik, en parfait robot exterminateur, exerce sa mission qui consiste à se débarrasser des travaillistes, engeance satanique imprégnée de doctrine marxiste. Il lutte aussi de toutes ses forces contre l’islamisation de la Norvège. Il veut faire table rase. À en croire l’auteur, ce sanglant nettoyeur a une âme de poète. Le voici donc interrompant sa course entre deux victimes : il est tombé devant une orchidée violette.
Laurent Obertone ne manque pas de qualités. Il a un ton, une phrase cursive, sait camper des situations. Dans ce pseudo récit – à la limite de l’abus de confiance – il rédige un pseudo roman. Il a pourtant les qualités pour écrire une vaste fresque où il pourrait donner libre cours à son imagination en s’inspirant, pourquoi pas, de véritables monstres. Jonathan Little, avec Les Bienveillantes, a su composer ainsi une histoire dont les héros maléfiques sont emportés par la plus totale démesure. Il faut reconnaître qu’Obertone a entrepris une enquête minutieuse et pointilleuse, mais on peut maîtriser à fond un dossier sans prétendre parler directement au nom du protagoniste. Jacques Vergès, célèbre par ses flamboyantes plaidoiries, regardait, expliquait : il ne disait pas « Moi Barbie ».
On ne peut voir un saint, un salaud, que de l’extérieur. Il est impossible de se mettre à sa place. Un texte aussi déroutant que glaçant.
BOULEVARD VOLTAIRE
Commentaires
C'est à peu près bien résumé. Je n'ai personnellement jamais lu un ouvrage aussi déroutant, et c'est précisément parce qu' Obertone a "prétendu parler directement au nom du protagoniste"! C'est ce qui fait l'originalité et la puissance de ce livre génialement construit, sinon, il reste les articles et les reportages "indignés" de la presse ! Mais ces derniers ne rendront jamais compte aussi bien de ce qui se passait dans la tête de ce grand psychopathe. Obertone a de sérieuses notions de psycho pathologie et traite son sujet avec un sang froid constant ! Son ouvrage est, accessoirement, une bonne approche de la schizophrénie pour ceux que ça intéresse.
J'attends avec impatience son prochain bouquin !