« L’une des légendes les plus répandues en Bretagne est celle d’une prétendue ville d’Is, qui, à une époque inconnue, aurait été engloutie par la mer. On montre, à divers endroits de la côte, l’emplacement de cette cité fabuleuse, et les pêcheurs vous en font d’étranges récits. Les jours de tempête, assurent-ils, on voit, dans le creux des vagues, le sommet des flèches de ses églises ; les jours de calme on entend monter de l’abîme le son de ses cloches, modulant l’hymne du jour. Il me semble souvent que j’ai au fond du cœur une ville d’Is qui sonne encore des cloches obstinées à convoquer aux offices sacrés des fidèles qui n’entendent plus. Parfois je m’arrête pour prêter l’oreille à ces tremblantes vibrations qui me paraissent venir de profondeurs infinies, comme des voix d’un autre monde. Aux approches de la vieillesse surtout, j’ai pris plaisir pendant le repos de l’été, à recueillir ces bruits lointains d’une Atlantide disparue. »
Ernest Renan. Souvenirs d’enfance et de jeunesse. Presses Pocket.
Le chemin sous les buis - 05/11/13
Commentaires
C'est merveilleux.
Le roi d’Ys : un très bel opéra d’Edouard Lalo, trop rarement joué, hélas !
J'ai beaucoup aimé ce texte...
Nous avons une légende identique en Flandre française, dans un village se nommant Merckeghem, aujourd'hui à l'intérieur des terres, à 20km de la mer du Nord, mais qui se trouvait sur le nouveau littoral au moment de la 2nde transgression dunkerquienne qui vit la mer recouvrir la majeure partie de la Flandre à partir du 3ème siècle. On y raconte qu'en contre-bas de ce village se trouvait la cité d'Eecke, célèbre par son commerce de draps. En une nuit, la mer submergea les basses terres, emportant les digues et les maisons, les bestiaux et les gens. Longtemps, dit-on, le clocher résista, toutes cloches sonnant. Et toujours maintenant, lorsqu'une catastrophe est sur le point d'éclater, les cloches se remettraient à sonner le glas. C'est du moins ce que prétendaient les habitants et qui arriva en 1789, en 1913 et 1918.
L'endroit est resté un peu mystérieux, avec un marais, et un lac, véritable abîme que personne n'aurait pu sonder.
…enfin, ce sont des histoires auxquelles les anciens croyaient.
Aujourd'hui, ces histoires qui faisaient trembler (pour de vrai) au fond des chaumières ne sont plus transmises, comme la langue flamande utilisée pour les transmettre.
Triste époque !
Dirk: les anciens n'étaient pas plus bêtes que nous! - Très belle histoire, mais dans les chaumières on regarde les saletés de la TV et on ne rêve plus... On n'est plus à l'écoute des signes mystérieux du monde...
Je pense au merveilleux Jean Ray... à Michel de Ghelderode...
Dirk,
Elle est belle cette legende!
Toutes ces legendes, c'est la France, celle que les immigrants ne comprendront jamais.. Mais elles sont en nous depuis des generations, transmises par atavisme. Il faut continuer de les transmettre aux futures generations, en regrettant de ne pouvoir le faire dans le dialecte regional de notre enfance!
Dirk, voici ce qu'écrivait Jean Cocteau sur Michel de Ghelderode:
« Ghelderode, c'est le diamant qui ferme le collier de poètes que la Belgique porte autour du cou. Ce diamant noir jette des feux cruels et nobles. Ils ne blessent que les petites âmes. Ils éblouissent les autres. »
— Jean Cocteau