Comment appliquer la loi sans exclure ? Une trentaine de chefs d'établissements des quartiers Nord de Marseille cogitent
Photo NICOLAS VALLAURI
À travers la vitre de la loge, ce n'est pas la concierge que Sabrina regarde. Mais son propre reflet, en train d'accomplir ce geste qu'elle répète chaque matin avant d'entrer au lycée professionnel de la Calade (15e) : délicatement, repousser le long voile brun -le jilbeb- qui l'enveloppe tout entière, révéler sa chevelure et sa silhouette. Et prendre sa place, pour la journée, dans la communauté scolaire. Le soir, c'est ici aussi que la jeune fille se recouvrira avant de rentrer chez elle. "Ça ne me dérange pas, sauf si un garçon me regarde, sourit Sabrina, 18 ans. Me voiler, c'est mon choix, même ma famille est contre : mais ici, c'est laïc, il faut savoir s'adapter, être intelligent." La religion a pris depuis deux ans une "grande importance" dans sa vie ; mais ses études aussi : Sabrina se prépare à être hôtesse d'accueil.
La vitre de la loge du LEP est, à la Calade, devenue un symbole. Celui des frontières de l'institution scolaire qui, dix ans après le vote de loi du 15 mars 2004, proscrit toujours les signes religieux ostensibles au sein de l'école publique. "Rentrée dans les moeurs", et respectée, celle-ci n'a cependant pas apaisé toutes les tensions. Ainsi, sur le terrain, la communauté éducative doit composer avec de nouvelles "modes", "courants", "cycles", chacun a son mot pour parler de ces tenues intégrales aux portes de l'école.
Postée devant le portail de la Calade, Blandine, surveillante, veille justement à ce que chacun des 450 élèves se conforme au principe de laïcité : "Il n'y a pas de heurts, observe la jeune femme, mais parfois des questions : "Pourquoi ma jupe longue pose problème alors que sa mini-jupe, non ?"
Sur la quinzaine de jeunes filles voilées que compte l'établissement, une poignée se présente vêtues du hijeb mais aussi de la tunique et de la très longue jupe, noire ou marron. C'est récent : "On le voit depuis un an je pense", note Marie-Pierre Van Huffel, le proviseur du LEP. Qui ne se leurre pas : "Nous savons bien qu'elles n'ont pas été achetées à Mango, ces jupes ! Mais on ne va pas commencer à dire : cette jupe-ci, OK, celle-là non. Alors nous n'interdisons que la tenue complète, portée avec la tunique." La jupe longue a donc droit de cité. Comme les Doc Martens 18 trous, les cheveux roses et les baskets cloutées -il y a une section mode au LEP-, "mais pas les casquettes, ni les grosses croix des gothiques !" Un moyen terme afin d'éviter des crispations inutiles : "Un établissement scolaire a bien d'autres problèmes à gérer, vous savez", souffle en souriant le proviseur.
Cette grande femme blonde et chaleureuse a quinze ans de quartiers Nord derrière elle ; comme elle le dit, elle n'est "pas ici pour tricoter ! La vie des élèves m'a toujours préoccupée". C'est pour aller plus loin dans cette connaissance qu'elle participe depuis 2013, comme d'autres chefs d'établissements du bassin littoral Nord (14e-15e-16e-1er-2e arrondissements), à la commission laïcité du rectorat. Placé sous la houlette du recteur et de son proviseur à la vie scolaire, Rodrigue Coutouly, ce nouveau groupe de travail est présidé par Pascal Bonicel, principal adjoint du collège Édouard-Manet (14e). Bienvenue, cette démarche pourrait l'an prochain être étendue à l'académie. "Nous nous réunissons régulièrement avec des juristes, des historiens, des experts et même un imam, afin d'approfondir notre connaissance, et trouver un modus vivendi face aux élèves portant ces tenues religieuses", explique M. Coutouly. Rappeler la loi "avec fermeté", mais sans exclure, "car déscolariser un élève à cause d'une tenue, ce serait catastrophique". Au choc des cultures, l'école tente d'opposer un dialogue apaisé : "Il y a très peu de blocages, mais la question divise les équipes, reconnaît Rodrigue Coutouly. Or si la limite est posée, il n'y a pas de souci." Jusqu'où interdire, et comment, ce que la loi ne dit pas, la commission essaie de l'éclairer.
La question des jeunes filles presque intégralement voilées intrigue et, oui, en inquiète certains. "Cela semble indiquer une radicalité qui me met très mal à l'aise", convient ainsi Thierry, jeune prof à Malpassé (13e). Prof de français, Sophie renchérit : "Cela nous force à aborder des questions sur lesquelles on a des avis très tranchés, c'est dur de conserver une neutralité d'enseignant." Ces filles qui se couvrent, combien sont-elles ? "C'est très marginal, sur un lycée de 1500 élèves, elles sont peut-être 30", estime le rectorat. Les cas semblent cependant plus nombreux ; difficile toutefois d'affirmer qu'ils témoignent d'une progression de la pensée radicale : "Parmi les musulmans de Marseille, ces milieux représentent une part infime", affirme ainsi la sociologue Françoise Lorcerie. Selon Marie-Pierre Van Huffel, les filles se voilent aussi pour "se protéger des rumeurs", du harcèlement sur les réseaux sociaux.Vigilant, le proviseur garde la tête froide : "Il y a des filles qui arrivent un jour couvertes, le lendemain, elles sont en jean. Et en stage, elles sont impeccables, en petit tailleur. Raison de plus pour ne pas en faire un plat: mais je leur dis que le jean, ça leur va beaucoup mieux", glisse-t-elle malicieuse.
La Provence - 17 05 14
Commentaires
La laïcité, c’est très simple : on interdit les croix (chrétiennes) au nom de la laïcité ; il faut tolérer le voile islamique au nom de la laïcité !
Si vous n’avez pas compris, lisez l’ouvrage de référence : « La Laïcité pour les nuls » ! Ah, zut, il n’est pas encore écrit !
nos pauvres profs laïcards doivent faire des contorsions pas possibles face aux voilées , quelle bouffonnerie . . .!!
salutations.
Oui à la mini jupe ou au jean moulant , non au drap de lit grillagé des arrierés muzz !