Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

[Tribune libre] Commémorations du 06 juin 1944 en Normandie: le “Grand Cirque” – par Marie d’Escolles

belloc.jpg

 

 

06/06/2014 – PARIS (NOVOpress)
Semaine du 06 juin 2014: la Normandie célèbre le 70ème anniversaire du Débarquement allié sur ses côtes. Outre les cérémonies officielles, les réunions de chefs d’états et autres circonvolutions protocolaires, c’est toute une organisation d’animations destinées au grand public qui est mise en place.

Ainsi, dès le début du mois de juin, tout ce que l’Europe (et au delà) compte de passionnés de la Seconde Guerre converge vers les villes proches des lieux du Débarquement. Des camps de “reconstitution” sont organisés: véhicules et matériels militaires d’époque et en état de marche, évocation de la vie des civils, tout y est, du GMC à l’ambulance, de la “traction” FFI au poste de transmission… Un paradis pour les collectionneurs, avec de très belles pièces que l’on peut se procurer sur les brocantes qui se tiennent ça et là durant ces quelques jours, à condition toutefois, d’en avoir les moyens, car les objets de la Seconde Guerre atteignent aujourd’hui des prix record. Etrangement, en parcourant ces lieux, à Sainte-Mère Eglise, à Carentan ou ailleurs, on ressent rapidement comme un malaise… Des hommes et des femmes ont endossé des uniformes d’époque, américains, anglais, français libres… ils se promènent en ville, font leurs courses, plaisantent entre amis, certains ont largement dépassé la soixantaine et leurs tenues de GI ou d’infirmière ne sont plus très crédibles, d’autres, presque obèses, se glissent quand même dans de larges combinaisons de travail…voilà l’image des “boys” quelque peu écornée. C’est le camping, version 1944, où l’odeur du pastis et des saucisses grillées se mêle à celle de l’essence et de l’huile chaude des vieux moteurs, à la fin de la semaine, les organisateurs décerneront aux participants les prix des plus belles tenues militaires et civiles du 70ème anniversaire du Débarquement…

 

D.Day attitude oblige, les visiteurs, pour se mettre dans l’ambiance, éprouvent le besoin de se déguiser plus ou moins: qui son treillis, sa parka, qui son béret militaire, son kilt ou sa casquette, l’essentiel étant d’avoir l’air d’un baroudeur ou de faire presque d’ époque… la fashion week version kaki… jusqu’à l’écoeurement.

Les commerçants, comme souvent, font leur beurre: vitrines décorées, pavoisées aux couleurs des alliés, des magasins vont jusqu’à faire payer un droit d’entrée pour une séance de dédicace des acteurs des seconds rôles de la série”Band of Brothers”, entre réalité des faits historiques et fiction, certains commencent à confondre les stars de films à gros budget avec les pauvres mecs débarqués du fin fond des Etats-Unis sur les plages normandes en 44… Le devoir de mémoire est loin, le business omniprésent, quelle éthique alors…?

Chaque soir, des fêtes sont organisées, la chanson française des années 40, le jazz américain y ont la part belle, avec même, parfois, des cours de danse… Ambiance bon enfant où les plus jeunes s’imprègnent, l’espace d’un instant, des distractions de leurs aînés.

Mais, alors que l’heure s’avance, la musique n’a plus rien à voir avec le D.Day… les apprentis GI sont ivres et débraillés et sortent les calots allemands, quelques uns ont revêtu les robes de leurs grand-mères et s’éclatent en travestis des années 40, décidemment… nous ne sommes pas loin de la Gay-Pride 44… Une idée est peut-être née pour les années à venir… What else ?

Une génération qui n’a rien à fêter s’amuse pour se rappeler un temps qu’elle n’a pas connu et dont la réalité semble lui échapper. Ceux qui participent aux camps de “reconstitution” en Normandie se souviennent-ils des victimes “collatérales” du Débarquement, des mères, des pères, des enfants, des vieillards qui ont péri sous le déluge de feu des forces alliées ? Combien de femmes violées par les soldats fraîchement débarqués, de maisons pillées, de vies détruites ou achetées – misère oblige – à coup de paquets de chewing-gum, de cigarettes ou de vulgaires bouteilles de Coca-Cola ? Mais chuuut! Ces bouteilles de Coca d’époque ont un prix encore aujourd’hui… Mais c’ est un sujet tabou et dans ce grand cirque, l’arène est ouverte à tous les excès de la fête, la guerre, ses morts, ses villes normandes détruites ne sont plus qu’un lointain souvenir jusqu’au petit matin où l’apprenti GI, encore dans ses vapeurs d’alcool, ira péniblement se présenter en uniforme allié à une cérémonie en l’honneur de ceux tombés à jamais ce 06 juin 1944, qui croupissent sous terre dans les cimetières devenus de simples lieux de visite.

En discutant avec les acteurs de ce “Disneyland” du Débarquement, on s’aperçoit que leurs motivations sont diverses, parfois confuses et pas toujours très avouables. Bien sûr, on trouve chez les plus impliqués la volonté de faire sortir l’Histoire des musées, d’intéresser les jeunes, de redonner vie à un moment crucial du conflit mondial (les vétérans et contemporains de l’événement n’étant plus légion) et aussi le souhait de rendre hommage. Ensuite, dans un monde résolument matérialiste, on ne s’étonnera pas que beaucoup vouent un véritable culte à l’Objet historique: de la tenue vestimentaire au char d’assaut, chacun bichonne, expose et compare ses reliques, à qui possédera les pièces les plus rares (et donc les plus chères…). Et puis, même si certains s’en défendent, l’immense majorité voit là une excellente opportunité de se retrouver entre copains et de faire la fête, d’où les débordements évoqués plus haut et quelque peu décalés par rapport à l’événement d’origine.

Plus pernicieux, une partie non négligeable des “reconstituteurs” semble s’être rabattue sur “l’américain” ou “l’anglais” à défaut de pouvoir se déguiser en soldats allemands, comme ce responsable des collections et du camp de reconstitution US du musée Airborne de Sainte-Mère-l’Eglise (photo), E.Belloc, personnalité incontournable depuis des années dans le milieu des collectionneurs qui a su se montrer consensuel en abandonnant l’uniforme maudit porté les années précédentes. Ce cas emblématique peut sembler édifiant à tous ceux qui ne connaissent pas ce milieu, mais il est loin d’être isolé. En effet, et bien que les objets allemands de la Seconde Guerre soient les plus côtés dans les brocantes et les ventes aux enchères, le port des uniformes du IIIème Reich est interdit hors des terrains privés et se trouve, bien entendu, banni des commémorations, même présenté en tant qu’évocation de soldats prisonniers ou de matériel pris à l’ennemi… A cet égard, on se rappellera au passage de l’affaire de la batterie de Crisbecq en 2007 où un groupe nommé Vent d’Europe avait créé la polémique en reconstituant la position allemande de l’époque.
En résumé, aujourd’hui, parmi ces évocations du Débarquement et des jours qui l’ont suivi, ne cherchez pas les soldats allemands, ils sont déguisés… en américains !

Certes, dans tout événement populaire de grande ampleur, on peut s’attendre à une certaine dose de mauvais goût, mais s’agissant des festivités autour du 70ème anniversaire du Débarquement, la frontière avec l’indécence totale est dépassée… Une fois encore, le “business” et la satisfaction immédiate des masses conditionnées par la publicité et le battage médiatique l’emportent sur la dignité, le respect et la mesure de la réalité historique.

Marie d’Escolles

Crédit photo : DR

Commentaires

  • Helas, le business est partout!
    Qui se souvient de notre defaite a Azincourt?
    Les commercants vendent des souvenirs aux touristes anglais, si fiers de leur victoire d'Agincourt!
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Bataille_d%27Azincourt

  • et dans quelques décennies , les nouveaux arrivants fêteront leur arrivée sur la plage de Lampudesa , un autre festival . .!!
    salutations.

Les commentaires sont fermés.