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Hélène Carrère d'Encausse : «Poutine et Porochenko ne savent plus s'arrêter»

 

 

FIGAROVOX/EXTRAITS - Le secrétaire perpétuel de l'Académie française Hélène Carrère d'Encausse analyse le jeu dangereux auquel se livrent Vladimir Poutine et Petro Porochenko en Ukraine, et expose le rôle que l'Europe pourrait remplir pour désamorcer la crise. Extraits.

 

Crédits photo : Paul DELORT/Le Figaro

Hélène Carrère d'Encausse est historienne, secrétaire perpétuel de l'Académie française et spécialiste de la Russie. Elle a publié récemment «Les Romanov: une dynastie sous le règne du sang» (Fayard, mai 2013).


LE FIGARO. - Vladimir Poutine, qui continue d'envoyer des troupes russes en Ukraine, évoque désormais la création d'un «statut étatique» pour le sud-est de l'Ukraine? Quel est réellement son plan?

Hélène CARRÈRE D'ENCAUSSE. -Le jeu très inquiétant, auquel nous assistons, entre l'Ukraine et la Russie peut devenir une véritable catastrophe pour l'Europe.

D'un côté, le président ukrainien, Petro Porochenko, n'a de cesse depuis son arrivée au pouvoir de vouloir reprendre par la force le contrôle de cette partie russophone de l'Ukraine, après avoir refusé d'accepter le principe d'une fédéralisation du pays. Il joue le même jeu que ceux qui ont refusé aux russophones de la région de parler leur langue, décision qui déclencha un processus de révolte de ces russophones et offrit à Vladimir Poutine la possibilité de s'emparer de la Crimée.

De l'autre côté, Poutine, qui n'a pas selon moi de grand plan préétabli, joue au coup par coup. À la tentation de l'occidentalisation de l'ensemble du pays du président ukrainien qui se dit prêt à adhérer à l'Otan, Poutine, ulcéré par une telle perspective, répond par la provocation. S'appuyant sur les séparatistes ukrainiens, le président russe joue la carte de la déstabilisation du sud-est du pays. Cette partie du pays pourrait ainsi éventuellement devenir la zone de raccord entre la Crimée et la Russie alors que dans l'état actuel des choses la Russie est coupée de la Crimée et doit envisager, pour rendre son rattachement effectif, d'énormes et coûteux travaux de construction d'un pont de plus de 15 kilomètres au-dessus du détroit de Kertch.

L'agitation et la rébellion de l'Ukraine du Sud-Est menace de devenir irréversible. Les habitants du sud-est du pays pourront-ils oublier qu'ils ont été traités en ennemis et vivent aujourd'hui la guerre civile? Poutine tire avantage de cette situation. Certes, les sanctions contre la Russie se multiplient. Il les sait coûteuses pour les pays qui les décident mais également pour la Russie, qui en paie le prix par des difficultés économiques réelles. Soutenir les séparatistes est sans doute contraire à l'ordre international et à la souveraineté de l'État ukrainien. Envoyer des mercenaires ou des soldats sans uniformes en Ukraine n'est pas légal. Poutine, qui le sait parfaitement mais qui est convaincu que cela est couramment pratiqué dans d'autres conflits, notamment par les États-Unis, conteste du coup les accusations portées contre la Russie sur ce point. Mais la situation de quasi-guerre civile dans cette partie de l'Europe et de l'Ukraine déchirée, incite d'autant plus Vladimir Poutine à intervenir que la Russie est exclue pour l'instant du débat sur l'avenir de l'Ukraine.

Si cela n'était pas tragique, le conflit entre l'Ukraine et la Russie ressemblerait à une bataille de gamins qui ne savent plus s'arrêter.

Ils sont, par ailleurs, humiliés par des sanctions prises à leur égard par l'Europe et ils considèrent que leur pays est victime de l'arrogance des pays européens et des États-Unis.

Poutine n'est-il pas fragilisé par la mobilisation des mères de soldats russes? Bénéficie-t-il du soutien du peuple russe?

Oui. Les Russes ont vu avec satisfaction le rattachement de la Crimée à leur pays. Ils sont, par ailleurs, humiliés par des sanctions prises à leur égard par l'Europe et ils considèrent que leur pays est victime de l'arrogance des pays européens et des États-Unis. Ils n'oublient pas que Gorbatchev a accordé au chancelier Kohl en 1990 la réunification de l'Allemagne contre l'engagement que l'Otan ne s'installerait pas aux frontières de leur pays. Pourtant, ils ont laissé les pays Baltes entrer dans l'Otan mais ceci constitue pour la Russie un cas particulier, la limite de l'acceptable. L'Ukraine est différente par ses dimensions et ses liens historiques avec la Russie.

Quant aux mères de soldats russes, leur inquiétude est réelle mais la situation en Ukraine n'a rien à voir avec celle de la guerre d'Afghanistan, qui fut effroyablement meurtrière.

La présidente lituanienne Dalia Grybauskaite estime que la Russie était pratiquement en guerre contre l'Europe. Le premier ministre polonais Donald Tusk vient d'être nommé président du Conseil européen. Les relations entre la Russie et l'Europe sont-elles amenées à se durcir?

L'Europe n'a pas d'autre choix. C'est à elle d'agir : elle doit sauver l'unité de l'Ukraine, l'existence même de l'Ukraine étant menacée aujourd'hui de dislocation. Et en Europe, deux pays, la France et l'Allemagne, doivent être les puissances médiatrices de ce conflit.

La Lituanie est membre de l'Otan et n'a donc pas à craindre la Russie. La nomination de Donald Tusk est une heureuse nouvelle car elle donne à la Pologne la place qui lui revient naturellement en Europe, celle d'un grand État historique, et Donald Tusk est un esprit pondéré capable d'agir en homme d'État et non seulement par passion. Comment oublier qu'il est allé avec Poutine à Katyn pour rendre hommage aux officiers polonais massacrés par Staline en 1940?

L'Europe n'a pas d'autre choix. C'est à elle d'agir: elle doit sauver l'unité de l'Ukraine, l'existence même de l'Ukraine étant menacée aujourd'hui de dislocation. Et en Europe, deux pays, la France et l'Allemagne, doivent être les puissances médiatrices de ce conflit. Le jour où le président Hollande et la chancelière Merkel s'installeront en face des présidents russe et ukrainien pour leur imposer une discussion pacificatrice, l'Europe aura franchi un grand pas. Et le conflit commencera peut-être sa désescalade. La France et l'Allemagne ont une légitimité pour jouer ce rôle en raison de leurs relations historiques si longues et particulières avec la Russie. Le président Hollande peut compter sur l'autorité que la politique à l'est du général de Gaulle a conférée à la France. La crise ukrainienne peut aussi avoir pour conséquence de modifier la géographie politique du continent européen. Le raidissement antirusse des Européens a pour effet de pousser actuellement la Russie vers l'Asie et vers la Chine. La Russie est historiquement et culturellement un grand pays européen. Elle peut et elle doit être un pont entre l'Europe et l'Asie, qui devient désormais l'acteur premier de la vie internationale. Sanctionnée et critiquée par l'Europe, la Russie est tentée de glisser vers l'Asie et si elle le fait l'Europe sera amputée d'une partie d'elle-même et coupée de cette Asie où va se jouer le sort du monde. C'est pour cela aussi que c'est avec la Russie que les Européens, et d'abord la France et l'Allemagne, doivent débattre de la crise ukrainienne et la non le faire sans elle et contre elle. Sinon la Russie sera convaincue qu'elle n'a d'autre choix que de tourner le dos à l'Europe.

Commentaires

  • Elle nous en raconte des bonnes ! Il est vrai que nous n'attendions rien d'autre de sa part . Même si elle le voulait , elle ne pourrait se le permettre .
    A tous ceux qui invoquent , avec une insistance qui frôle l' indécence l'Europe , force est de répondre brutalement : où voyez-vous l'Europe ?
    Je ne découvre qu'une colonie de peuplement pour " races de boue " . Qu'on ne compte pas sur moi pour défendre cette horreur !
    Poutine se rapproche , à son corps défendant , de l'Asie . Ce n'est pas bien exact , une partie de l'Asie étant colonisée par Uncle Sam . Il l'a transformée en un gigantesque bordel pour ses soudards et ses affairistes en goguette .
    L'autre Asie , la vraie , lui ménage de mauvaises surprises et il ne l'ignore pas .
    Qui ne s'en réjouit d'avance ?

  • @albert, Je suppose que vous vivez en Asie. L' Europe est certes dans un fameux bourbier mais elle est encore si belle de ses paysages, de ses cultures et de son patrimoine (si si on peut encore les voir), l'aviez-vous oublié ? La cause est peut-etre perdue mais on a vu des revirements.
    Je souscris par ailleurs a votre commentaire sur H. C dE qui a son poste, ne peut porter autre chose que la parole officielle.

  • "Ils n'oublient pas que Gorbatchev a accordé au chancelier Kohl en 1990 la réunification de l'Allemagne contre l'engagement que l'Otan ne s'installerait pas aux frontières de leur pays."
    Alors, que font les agents de l'OTAN à Marioupol, sachant que l'Ukraine ne fait pas partie de l'OTAN ?
    On ne compte plus les provocations de ce type, sans compter les mensonges et les propos hystériques tenus en permanence par Kiev, et maintenant ce Tusk, dont même des journalistes comme Joseph Macé-Scaron et Yves Thréard (Figaro) demandaient hier soir à la TV la démission de la présidence du Conseil Européen. En effet, Donald Tusk, plus atlantiste qu'Obama (on est bien partis !) n'avait rien trouvé de mieux que de comparer la situation du Donbass avec le Couloir de Dantzig ! Oubliant les 25 millions de morts russes contre le nazisme. A quel titre, et mandaté par quels pays de l'UE, s'est-il permis cette nouvelle provocation ?
    Hélène Carrère d'Encausse est une spécialiste respectée de la Russie et connaît bien la série d'humiliations infligées à la Russie depuis la chute de l'URSS et ressenties par le peuple russe. Les Européens ont une lourde responsabilité en n'ayant jamais tendu la main à la nouvelle Russie et en étant restés servilement alignés sur Washington.
    Leur logiciel est resté bloqué sur l'URSS !
    Les solutions d'Hélène Cd'E n'ont de chance d'aboutir que si la France et l'Allemagne n'apparaissent plus comme des marionnettes de Washington aux yeux de Poutine. A la rigueur, Merkel, femme avisée et réaliste (et respectée par Poutine) pourrait convenir, mais notre triste chien battu élyséen …elle rêve !
    L'ignorance des lois de la géopolitique mondiale est abyssale chez nos dirigeants. Mais qu'apprennent-ils donc à l'ENA ? Il est vrai que lorsqu'on a abandonné toute souveraineté, la géopolitique n'est plus une discipline utile.

  • "La Russie est un Etat souverain qui ne subit aucune pression de personne" Xavier Moreau…à écouter
    http://www.altermedia.info/france-belgique/uncategorized/xavier-moreau-sur-la-position-russe-vis-a-vis-disrael_115446.html

  • J'ai écouté cette vidéo. Mais je me demande comment Xavier Moreau, qui n'est pas un proche de Poutine, qui vit en France, peut-il affirmer que Poutine ne subit "aucune pression"? Il n'en sait rien! Il ne fait pas partie de l'entourage du Président russe, il n'assiste pas aux réunions, etc... Il parle comme s'il était son secrétaire! Il ne connaît rien aux secrets du Kremlin, voyons...
    Hélène Carrère d'Encausse est plus intéressante quant à la tradition impériale russe, à l'histoire de la Russie tsariste qui expliquerait mieux le comportement actuel de Poutine, son ambition de restaurer la Grande Russie d'antan avec des armes modernes, plus performantes que celle que les tsars avaient à leur disposition.
    Je comprends très bien cette ambition pour un patriote russe qui connaît l'Histoire de son pays. Mais le monde extérieur a changé et les E.U. possède aussi l'arme nucléaire. Aussi y va-t-il petits pas... en observant les réactions de l'adversaire. D'abord la Crimée, qui est passée comme une lettre à la poste...

  • A qui veut comprendre la politique des grandes puissance je conseille de délaisser provisoirement Chauprade car il est de peu d'utilité pour se plonger dans la lecture favorite de Mao:
    " Le roman des trois royaumes " .
    On en trouve de multiples traductions en anglais et en français , la meilleure étant en cours de publication chez You Feng .
    La partie se joue à trois : l'Occident ( traduction : les assujettis de la banque Rothschild ) , l'Empire russe et son rival et allié ( provisoire ) l'Empire du Milieu .
    La stratégie chinoise s'éclaire pour qui connaît le jeu de go . Bien plus fort que les échecs !

  • Décée ,
    J'ai fait au moins une grosse boulette dans ma vie en regagnant mon pays pour y scolariser mon fils .
    Avais-je le choix ? .
    Pris de remords j'ai rempli les formalités auprès de la Cité-Etat de Singapour pour y être admis comme résident .
    J'ai laissé tomber .
    Mon fils est devenu prof d'Anglais . Après un stage à Lyon dans un bon établissement , il ne faut plus lui parler d'enseignement . Il se reconvertit .
    - il y a bien longtemps , quand j'étais encore lycéen , des âmes charitables me firent lire L-F Céline . Je prévoyais un peu ce qui nous attendait .
    S'imaginer que les peuples d'Occident vont se réveiller et mettre en cause ceux qui les ont constamment trompés .. . je n'y crois pas , PAS DU TOUT .
    Les enfants adorent les belles histoires . C'est toute ma sagesse .

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