Une interdiction définitive de se rendre en France avait semble-t-il été prononcée contre l'homme qui a avoué le viol et le meurtre de Chloé à Calais. Outre la question de sa validité se pose aussi celle de son application. Le gouvernement français dit vouloir demander des comptes à la Pologne.
- Pourquoi le suspect avait-il été condamné en France?
L'homme interpellé après l'enlèvement, le viol et l'assassinat mercredi de Chloé, neuf ans, à Calais, avait déjà été condamné deux fois en France, mais pas pour des faits similaires. La première fois, en novembre 2004, à quatre ans de prison, et la seconde fois, en mars 2010, à six ans de prison, à chaque fois pour extorsion avec violence, séquestration et vol aggravé. Ces condamnations avaient été prononcées à l'époque par le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, qui à l'époque, avait assorti la peine de ce Polonais de 38 ans d'une interdiction définitive de territoire français. Il avait ensuite été remis aux autorités de son pays le 27 mars 2014 après l'émission d'un mandat d'arrêt européen par la Pologne qui souhaitait le juger pour des cambriolages commis là-bas en 2000.
- S'il avait été condamné à six ans de prison, pourquoi n'était-il pas toujours détenu dans une prison française?
Comme l'explique l'avocat pénaliste Pierre Lumbroso, «s'il a été condamné à six ans de prison, le suspect a dû bénéficier d'une remise de peine d'au moins treize mois». En France, le crédit de réduction de peine est en effet automatiquement calculé en fonction de la durée de la condamnation prononcée (3 mois pour la première année d'emprisonnement, 2 mois pour les années suivantes). A ce délai peuvent éventuellement s'ajouter d'autres réductions. Selon France 3 Pas-de-Calais, le suspect a été expulsé vers Varsovie six jours après sa sortie de la prison de Fresnes. Entre sa sortie de prison et son expulsion, «il a d'abord été assigné à résidence par un juge de la liberté et de la détention», indique Me Lumbroso. Ce qui signifie donc qu'il était libre de ses mouvements durant ce laps de temps.
- Que faisait le suspect à Calais mercredi?
L'homme interpellé mercredi après la découverte du corps de la fillette dans les bois assure n'être arrivé à Calais que quelques heures plus tôt. «Il était en Pologne jusqu'à hier (mercredi) matin», a confirmé le procureur de Boulogne-sur-Mer, Jean-Pierre Valensi. Selon le magistrat, le suspect a raconté aux enquêteurs être arrivé à Calais pour aller voir sa soeur à Southampton en Angleterre, sans toutefois posséder de titre de transport.
- Faisait-il vraiment l'objet d'une interdiction du territoire français?
Le procureur de Boulogne-sur-Mer, après avoir indiqué que le suspect était soumis à une interdiction de territoire français, a précisé ce jeudi que cette décision de justice était invalide sur le plan juridique au regard des infractions pour lesquelles il avait été condamné en France. Et donc «pas applicable». Le tribunal de Boulogne-sur-Mer avait «prononcé une interdiction définitive du territoire qui ne pouvait être amenée à exécution puisque son prononcé n'était pas légalement encouru pour les faits pour lesquels il avait été condamnés», a déclaré lors de son point de presse le procureur Jean-Pierre Valensi. «La loi prévoit pour certaines infractions l'interdiction du territoire français et pour d'autres non». Comment le tribunal avait-il donc pu prendre une telle décision, si elle n'était pas applicable? La question reste pour l'instant entière. Ce jeudi matin en tout cas, Bernard Cazeneuve, a pourtant rappelé l'existence de l'nterdiction, en prenant visiblement pour acquis sa validité. Le ministre a en effet ajouté qu'une «discussion (était) en cours avec les autorités polonaises de manière à établir les conditions dans lesquelles cette interdiction du territoire a été enfreinte par le criminel en question».
- Pourquoi cette interdiction n'a-t-elle pas été contrôlée?
La mère de la petite Chloé ne comprend pas: «Je suis franchement écoeurée, dégoûtée... Je ne comprends pas pourquoi il était en France. Et puis pourquoi est-il venu à Calais?», déclare-t-elle au Parisien. Si Bernard Cazeneuve demande des comptes à Varsovie, le fait que le suspect ait pu enfreindre cette interdiction de territoire (qu'elle soit valide ou non) n'a rien de surprenant, déplore Me Lumbroso. La Pologne appartient à l'Union européenne et à l'espace Schengen, qui permet la libre circulation des individus. Le suspect n'avait donc pas besoin de visa pour se rendre en France. «Une fois qu'il a été transféré en Pologne, il a été laissé libre car il n'avait pas été condamné sur ce territoire et les autorités n'avaient aucune raison de le détenir, explique l'avocat pénaliste. Il était donc libre de ses mouvements. Or il est impossible de contrôler une interdiction du territoire français. Surtout s'il vient d'un pays de l'espace Schengen et qu'il se déplace en voiture, en train ou même en bateau. S'il avait voyagé en avion, il aurait été intercepté par la douane. Mais comme il circulait en voiture, il ne pouvait être intercepté que par un contrôle inopiné.»
LE FIGARO