INFOGRAPHIE - Tandis que Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles sur le littoral marocain, connaissent une hausse importante des flux migratoires, tant par mer que par voie terrestre, la route vers la cote andalouse via le détroit de Gibraltar redevient un point de transit fréquenté par les migrants entre l'Afrique et le sud de l'Europe.
De notre correspondant à Madrid
D'un côté, des vacanciers en maillots de bain ; des Européens sur la Costa de la Luz qui prennent le soleil sur la plage de Zahara de los Atunes, aux environs de Cadix, dans le sud de l'Espagne. De l'autre, une trentaine de migrants africains. À peine leur bateau gonflable touche-t-il le sable, qu'ils débarquent à toute vitesse et courent sur la plage, puis se dispersent aussi rapidement qu'ils sont arrivés. Les images, captées le 9 août par le téléphone d'un touriste, montrent deux mondes qui se croisent en l'espace de quelques dizaines de seconde. Elles attestent aussi du retour d'une route migratoire que l'on croyait oubliée: Maroc-Espagne via le détroit de Gibraltar, ou le passage de l'Afrique à l'Europe en 14 kilomètres.
Plus de 9 000 migrants sont arrivés en Espagne par voie maritime depuis le 1er janvier, c'est davantage que les 8 162 qui y sont parvenus sur l'ensemble de l'année 2016, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). Outre les côtes andalouses, Ceuta et Melilla, les deux enclaves espagnoles sur le littoral marocain, connaissent une hausse importante des flux migratoires, tant par mer que par voie terrestre. L'OIM, qui dépend de l'ONU, avertit d'un risque d'«urgence majeure» si les flux migratoires poursuivent leur progression. L'Espagne pourrait dépasser la Grèce et occuper la deuxième place, derrière l'Italie, au rang des pays européens où arrivent le plus de migrants par mer.
Des passage de migrants en jet-ski
«Compte tenu de la situation en Libye, où le travail des gardes-côtes a été renforcé, on pouvait s'attendre à ce pic en Espagne, considère Florence Kim, l'une des porte-parole de l'OIM. Le voyage par Gibraltar est moins long, il coûte parfois moins cher, il est aussi plus sûr et provoque moins de morts.» Il y a deux semaines, la police espagnole a démantelé un réseau de passeurs qui transportaient des migrants en jet-ski. La traversée du détroit, facturée 5 000 euros, ne prenait que dix minutes. Malgré tout, 121 personnes sont mortes noyées dans le détroit de Gibraltar depuis le début de l'année.
Sur le terrain, les ONG locales ont adapté leur réponse à l'augmentation des arrivées. Au premier semestre 2017, par exemple, la Croix-Rouge espagnole a porté secours à 7 400 personnes sur les côtes andalouses, à Ceuta et à Melilla, contre 3 600 à la même époque en 2016. L'organisation a renforcé ses équipes car elle prévoit «des mois d'arrivées intenses, compte tenu de la météo favorable l'été», selon Inigo Vila, responsable de l'unité d'urgence de la Croix-Rouge. «À Ceuta et à Melilla, comme dans nos centres en Andalousie, nous avons doublé le stock de matériel destiné à soigner les migrants.» La Croix-Rouge observe une claire tendance à la hausse depuis 2010. L'année record reste toutefois 2006, au cours de laquelle 37.000 personnes ont été prises en charge par l'ONG.
Plus qu'une nouveauté, la voie espagnole est donc une reprise après des années de contention. Dans les années 2000, l'Espagne était parvenue à réduire les flux en s'appuyant sur l'agence Frontex et en renforçant la coopération avec le Maroc. Ce pays détient la clé des départs vers l'Espagne et n'hésite pas à mettre dans la balance diplomatique le travail de sa gendarmerie lorsqu'il estime que sont menacés ses intérêts, notamment sur la question du Sahara occidental. L'Europe s'expose à un «véritable risque de reprise des flux migratoires que le Maroc, au gré d'un effort soutenu, a réussi à gérer et à contenir», avait ainsi déclaré le ministre de l'Agriculture à l'AFP en février, après que la justice européenne a menacé d'exclure le Sahara occidental d'un accord agricole. Dans une situation de dépendance absolue vis-à-vis de Rabat, Madrid se garde d'exprimer la moindre critique lorsque le Maroc relâche sa vigilance aux frontières.
Madrid critiqué par les ONG
Le gouvernement espagnol insiste d'autant plus sur l'accélération des arrivées que l'Italie, qui reçoit dix fois plus de migrants sur ses côtes, demande que les personnes secourues dans les eaux italiennes ou internationales soient réparties dans les différents ports méditerranéens des pays membres de l'UE. Interrogé début juillet sur cette possibilité, le ministre de l'Intérieur, Juan Ignacio Zoido, a rétorqué que «la solidarité de l'Espagne n'est plus à démontrer».
Ces propos tranchent avec les observations des ONG. Ce lundi, Amnesty International rappelait que l'Espagne n'a accueilli que 13 % des migrants que le gouvernement s'était engagé à recevoir d'ici au 26 septembre prochain. «Au lieu de donner l'exemple, le gouvernement continue de manquer à chaque engagement qu'il prend, a ainsi critiqué l'ONG dans un communiqué. La dernière promesse était de recevoir 500 personnes de plus par mois, mais seules 24 sont arrivées d'Italie et 164 de Grèce.»
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 29/08/2017.
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