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Le pouvoir espagnol investit les institutions catalanes

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À compter de ce lundi, Madrid doit gérer les affaires de la région. Les dirigeants indépendantistes démis ont, énigmatiques, annoncé une «opposition démocratique».

À Madrid

Carles Puigdemont est-il président de la République catalane qui a été proclamée vendredi soir par le Parlement autonome? Ou est-il le président du gouvernement régional destitué, comme l'atteste le décret publié samedi matin au journal officiel espagnol? Aucun pays au monde n'ayant reconnu la déclaration d'indépendance, et la plupart des partenaires européens s'y étant explicitement opposés, la réalité du Boletín Oficial del Estado semble encore s'imposer à tous, si ce n'est aux sécessionnistes. Le principal intéressé, en tout cas, ne dit rien de sa condition. Ou si peu. Lors d'une allocution télévisée diffusée samedi à 14 h 30, Puigdemont s'est brièvement adressé à ses concitoyens. Résumant en trois minutes et trente secondes ce qu'il a appelé «une journée historique», l'ex-président, selon la loi en vigueur, s'est contenté de juger: «Les citoyens de notre pays savent parfaitement que dans une société démocratique, ce sont les Parlements qui choisissent et qui destituent les présidents.»

 

La mention la plus explicite à son titre n'est pas sortie de la bouche de Puigdemont, mais de l'image précédant son apparition à l'écran. TV3, la chaîne publique régionale qui transmettait le discours, a inscrit la description suivante: «Message du président de la Generalitat», le nom des institutions catalanes, une fonction dont il pouvait se prévaloir jusqu'à samedi matin. Cette définition a valu à TV3 les remontrances de Madrid.

 «Pardonnez-moi, mais je n'ai pas compris le sens de la déclaration du président Puigdemont. Où est-on ?»

Pilar Rahola sur Twitter

Pour le reste, Puigdemont a appelé ses troupes à «une opposition démocratique» à l'application de l'article 155 de la Constitution, qui place la Catalogne sous la tutelle de Madrid dans l'attente de la tenue d'élections régionales, le 21 décembre prochain. Une expression que chaque indépendantiste est laissé libre d'interpréter à sa guise, alors que nul, à ce stade, ne connaît la stratégie à suivre, ne serait-ce qu'à partir de ce lundi. Une analyste politique très proche des dirigeants indépendantistes reconnaissait sur Twitter sa confusion. «Pardonnez-moi, mais je n'ai pas compris le sens de la déclaration du président Puigdemont. Où est-on?» écrivait Pilar Rahola avant d'effacer son message.

Les 200.000 fonctionnaires catalans doivent-ils, comme le leur demande l'Assemblée nationale catalane (ANC), l'une des deux grandes associations indépendantistes, «refuser d'obéir aux instructions données dans le cadre de l'article 155 et contraires au cadre juridique»? Les députés catalans peuvent-ils tenir leur Chambre pour dissoute comme l'indique le journal officiel ou participer au bureau de l'Assemblée convoqué par la présidente ce mardi? Ou faut-il encore suivre l'idée de Jordi Sánchez, le dirigeant de l'ANC, qui, de la prison de Soto del Real, réclame l'activation de l'Assemblée des élus de Catalogne, un groupe composé de 4 000 responsables publics sécessionnistes, essentiellement des conseillers municipaux, et censé pouvoir se substituer aux institutions catalanes vidées de leurs dirigeants? Quant au gros des troupes indépendantistes, doivent-elles aller protéger physiquement les institutions catalanes de l'intervention de Madrid et utiliser les techniques de «résistance pacifique» enseignées notamment par les comités de défense de la République qu'a montés la CUP (extrême gauche indépendantiste)?

Après les interrogations tactiques immédiates, il sera encore temps de répondre à une question stratégique : faut-il participer aux élections régio­nales, convoquées par Madrid le 21 décembre ?

À moins que Puigdemont ne choisisse une dernière option, qui semble pour l'heure improbable: le secrétaire d'État aux Migrations du gouvernement belge et membre du parti indépendantiste flamand N-VA, a jugé qu'un asile politique n'était «pas irréaliste». Le premier ministre belge a rectifié les propos du secrétaire d'État, mais le Parti populaire (PP, droite), la formation de Mariano Rajoy, a eu le temps de juger la proposition «inacceptable».

Après les interrogations tactiques immédiates, il sera encore temps de répondre à une question stratégique: faut-il participer aux élections régionales, convoquées par Madrid le 21 décembre? En choisissant de limiter sa mise sous tutelle au nombre de jours strictement nécessaire pour organiser le scrutin, Rajoy a tendu un piège aux indépendantistes, qui auront du mal à présenter son intervention comme autoritaire. S'ils participent au scrutin, ils enlèvent toute valeur à la proclamation de la République et ne s'assurent même pas de renouveler leur majorité. Un sondage publié ce dimanche parEl Mundo donnait indépendantistes et partisans de l'unité de l'Espagne au coude-à-coude. S'ils boycottent les élections, ils s'autoexcluent des seules institutions catalanes reconnues en dehors de leur monde.

Vendredi soir, le drapeau espagnol avait été enlevé du bâtiment de la délégation du gouvernement régional à Gérone, là où Puigdemont avait enregistré son message. Dimanche après-midi, il flottait encore sur le toit du Palau de la Generalitat, le siège du gouvernement catalan à Barcelone.

 
 
 
 
Mathieu de Taillac

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