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Bernard Rio & Bruno Colliot, Tomàs Turner : L’invitation au voyage. Par Jacques Aboucaya

 

Cette fois, l’automne est bien là. Avec ses frimas. Déjà, au matin, une fine pellicule de gelée blanche habille les prés, leur donne cet aspect irréel qui tranche avec la somptuosité des forêts. Avant leur chute imminente, les feuillages, en effet, offrent au regard une symphonie de couleurs, de l’ocre au rouge sombre en passant par toutes les nuances de marron. Avec, ça et là, une touche de vert profond, celle des arbres qui résistent jusqu’au bout, conservent toute l’année leur vêture. Et la synesthésie que chanta Baudelaire ne s’arrête pas là. L’odorat est délicatement chatouillé par les senteurs capiteuses qu’exhale l’humidité des sous-bois et par celles des premiers feux dans l’âtre. Encore, pour être tout à fait complet, faudrait-il y ajouter le crépitement des brindilles, prélude à une chaleur propice à la torpeur et au rêve.

 
 
 

« Le chemin de terre, écrit Bernard Rio, est en France la relique d’un paysage maillé de haies et d’une civilisation paysanne qui privilégiait la courbe à la ligne droite. Ces chemins d’un autre âge mériteraient d’être inscrits à l’inventaire des monuments historiques tant ils illustrent une civilisation balisée de calvaires, de fontaines et de lavoirs, de fours et de moulins ».Voilà qui dit bien le propos des auteurs. L’un maniant la plume, l’autre l’objectif, ils ont sillonné la France en tous sens, ressuscitant littéralement un pays dont les charmes désuets acquièrent ici une valeur inestimable.

Ainsi emprunte-t-on au fil des pages, sur les pas des deux randonneurs, des chemins dont l’aspect et l’utilisation furent divers au fil des âges, du pèlerinage au labeur des paysans, voire à la contrebande ou à l’insurrection. Une caractéristique commune, toutefois, la sinuosité. Elle permet non seulement cette « liaison vagabonde » dont parle joliment Bernard Rio, mais offre le loisir de se plonger dans l’histoire et dans les légendes qui ont fait la personnalité de chacune de nos régions. De faire renaître ce « vieux petit temps » dont parlait Henri Pourrat. Nul doute, du reste, que l’auteur du « Trésor des Contes » eût salué avec une satisfaction légitime un ouvrage qui se situe dans le droit fil de ses propres écrits.

 

Il est, bien sûr, hors de question de privilégier l’un ou l’autre des itinéraires qui, de Chartres au Mont Dos en passant par Domrémy-la-Pucelle, Aigues-Mortes, L’Ardèche ou l’Aubrac, serpentent à travers la France. Chacun a ses beautés. Son histoire. Ses traditions. Tous portent la trace d’épisodes, plus ou moins connus, oubliés ou ignorés, d’une geste nationale dont le souvenir n’est plus guère perpétué par les manuels scolaires. Ce qui est remarquable, en revanche, c’est la constante qualité aussi bien des images (certaines sont dignes des plus grands peintres paysagistes) que des textes dont la teneur, la profondeur aussi bien que le style tranchent sur la production courante. On aura compris que nous sommes ici à cent coudées au-dessus des guides touristiques habituels, et en présence d’une véritable œuvre d’art.

Encore un voyage, d’un genre un tantinet différent, puisque celui que narre Tomàs Turner (2) se coule dans une forme romanesque. Encore serait-il loisible de découvrir plus d’un lien de parenté entre l’américain Mortimer, le héros, et les arpenteurs infatigables évoqués plus haut. Lui aussi entame à travers la France un périple. Mais le sien est bien plus mouvementé et son séjour touristique va prendre une dimension inattendue.

Loin de plonger dans un passé révolu, son voyage se déroule dans une France bien actuelle, à l’identité hypothétique. Peu sûre d’elle. Bigarrée, diverse aussi bien dans sa population, tant rurale qu’urbaine, que dans son architecture, profane et sacrée. Surtout, au cours de ce qui s’apparente très vite à une quête, Mortimer va rencontrer des personnages aussi pittoresques que mystérieux. Délaissant les grands axes, il choisit, lui aussi, les chemins de traverse, mettant ses pas dans ceux des pèlerins d’autrefois et des grands marcheurs, tel Robert Louis Stevenson. Ainsi découvre-t-il un pays insoupçonné et secret.

Au fil des événements, des rencontres insolites, le voyageur pénètre dans un autre univers. Les notions d’espace et de temps se trouvent balayées. Transcendées, en quelque sorte, car le héros prend conscience que tout est relié, le monde extérieur et le monde intérieur, le passé et le présent, l’au-delà et la réalité concrète, fût-elle rocambolesque. Rien n’est dû au hasard, tout obéit à une cohérence supérieure. Le périple se transforme en voyage initiatique, la quête devient spirituelle. Au bout du compte et au terme de maintes péripéties, c’est la rencontre avec soi-même qui attend Mortimer. Aussi surprenante, aussi révélatrice que toutes les découvertes touristiques. Telle est la leçon qui découle de ce roman original, allègrement conduit de bout en bout.

Jacques Aboucaya

1 – Bernard Rio, Bruno Colliot, Chemins de France, Sentiers d’histoire et de légendes, Editions Ouest-France, octobre 2017, 220 p., 250 photos, 35 €

2 – Tomàs Turner, Le Voyage de Mortimer, Balland, mars 2017, 340 p., 20 €

Commentaires

  • Merci à Jacques pour cette très intéressante recension de ces deux beaux livres. Une chose m'a frappé: Jacques explique que ce sont des arpenteurs qui ont privilégié les courbes aux droites. Et cela m'a rappelé un autre arpenteur célèbre: le grand mathématicien Gauss qui en arpentant l'Allemagne (il fut chargé de ces travaux de géodésie) découvrit la géométrie non-euclidienne, c'est à dire la géométrie des espaces courbes!

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