Malgré son profil sulfureux, le Front national entend bien continuer à créer des liens avec (le gourou de l'alt-right,) Steve Bannon. Reportage à Lille au congrès du parti.
Philippe Olivier a le sourire. Il parle calmement. Son regard est guilleret. "Le menu de ce soir sera forcément bon !" Le conseiller de l'ombre de Marine Le Pen, et aussi son beau-frère, s'apprête à rejoindre le dîner du gala du XVIe congrès du Front national, à Lille ce samedi 10 mars. Il sera à la table d'honneur de cette soirée où plus 1.000 personnes festoieront joyeusement. Le plat de résistance, on le connaît : c'est Steve Bannon, le "stratège" qui a fait gagner Donald Trump lors de la présidentielle américaine. Il sera lui aussi à cette table d'honneur, en compagnie de Marine Le Pen.
"Vous savez, c'est quelqu'un de vraiment ouvert", décrypte Philippe Olivier, ancien mégrétiste repenti. "C'est quelqu'un de vraiment très intéressant, de vraiment très abordable. Il a ce style 'yankee' (américain, NDLR). Il fait ces grands gestes. Regardez quand il bouge sur scène, quand il pointe du doigt". Philippe Olivier soupire, de soulagement ou de plénitude, on ne sait pas.
"Quand on était dans la loge ensemble, c'était vraiment agréable. C'est un moment important, sa venue, vous savez. Vraiment important".
Marie-Caroline Le Pen, son épouse, l'interpelle. Il faut y aller. C'est le moment de déguster à nouveau les paroles, les analyses de Steve Bannon, star surprise d'un congrès FN où tout est joué d'avance. Car rassurez-vous, "Steve Bannon n'est pas sulfureux", assurent en chœur les cadres FN interrogés par "l'Obs". Tous oublient, ou font mine de n'avoir pas vu, les articles flirtant avec l'antisémitisme et le racisme publié sur Breitbart News, du temps où Steve Bannon dirigeait le site phare de la droite alternative .
"L'histoire est avec nous"
La venue de l'ancien conseiller spécial de Donald Trump à Lille est à la fois une surprise, et un sacré coup de chance. Comme "l'Obs" le racontait, c'est Louis Aliot qui a scellé la venue du gourou de l'alt-right américaine au grand raout frontiste lors d'une rencontre à New York, en compagnie de Jérôme Rivière, ancien député UMP qui a rejoint les rangs du FN. Le coup de chance vient du fait que la mini-tournée européenne de Steve Bannon coïncidait par hasard avec le congrès.
L'artisan de la victoire de Donald Trump ne pouvait pas rêver d'une meilleure audience. Alors qu'il montait les marches menant à la tribune, la salle et les 1.500 adhérents frontistes, selon les organisateurs, trépignaient avant de donner à celui qui veut "détruire l'establishment" une standing-ovation d'une rare intensité.
Pendant plus de vingt minutes, vêtu de son éternelle veste kaki et d'une chemise bleue, les lacets de ses chaussures à moitié faits, Steve Bannon a tenté d'expliquer les bases théoriques de son idéologie et d'insuffler un peu d'espoir dans les rangs frontistes. Presque un an plus tôt, Marine Le Pen chutait brutalement face à Emmanuel Macron. Donald Trump, lui, a déjà fêté la première année de son mandat. Peu importe, Steve Bannon a promis la "victoire" au parti d'extrême droite en 2022.
"L'histoire est de notre côté et va nous mener de victoire en victoire. Vous faites partie d'un mouvement mondial qui est plus grand que la France, plus grand que l'Italie, plus grand que la Hongrie, plus grand que tout ça. L'histoire est avec nous, c'est pour ça qu'ils [l''establishment', NDLR] ont tellement peur de vous".
"Chaque jour, nous devenons plus forts"
Il n'en fallait pas plus aux militants frontistes en quête de frisson. Qu'importe si le discours fut un peu décousu, voire compliqué quand Steve Bannon s'est aventuré à expliquer pourquoi il hait les banques centrales et les géants des nouvelles technologies mais qu'il estime que les cryptomonnaies, comme le Bitcoin, "vont sauver notre liberté".
Forcément, Steve Bannon n'a pas oublié un de ses ennemis intimes : les médias. "Nous avons dû faire face à l'opposition des médias de l''establishment'". Huées. "D'ailleurs, où sont les médias de l'opposition dans la salle ?" Des dizaines de doigts pointent quelques journalistes assis. Nouvelles huées. Sans complexe, sans réserve. Steve Bannon est un showman qui sait chauffer une salle, il n'y a plus de doute. Pour le pire.
Et puis, il a de nouveau donné des conseils :
"Vous vous battez pour votre liberté ? Ils vous traitent de xénophobes. Vous vous battez pour votre pays ? On vous appelle 'racistes'. Mais les temps de ces paroles dégueulasses sont finis. Laissez-vous appeler racistes, xénophobes, portez-le comme un badge d'honneur. Parce que chaque jour, nous devenons plus forts et eux s'affaiblissent".
Tonnerre d'applaudissements. La fin du discours approche. Steve Bannon lève la main. Marine Le Pen monte sur scène pour la poignée de main qu'elle avait rêvé de faire lors de son escapade ratée à la Trump Tower. Dans la foulée Bruno Gollnisch ne se prive pas de monter lui aussi sur scène pour serrer la main de celui qui se surnommait lui-même "Dark Vador".
"Cette humiliation sociale, c'est une force motrice"
Surtout, Steve Bannon assure ne pas être là pour donner des leçons à Marine Le Pen. Il n'est pas venu en "professeur" mais en "observateur" pour apprendre comment le Front national, et les autres formations populistes en Europe, fonctionnent et gagnent. "Notre mouvement national et populiste n'existe que depuis quinze ans aux Etats-Unis. Vous êtes là depuis plus longtemps." Que pourrait lui apprendre Marine Le Pen ? Mystère, pour l'instant.
"Je trouve que Steve Bannon ressemble beaucoup à Jean-Marie Le Pen", analyse Philippe Olivier. "Il a raconté l'histoire de son père, cet ouvrier qui a travaillé toute sa vie et qui a tout perdu lors de la crise de 2008. Il a vécu cette humiliation sociale que Jean-Marie Le Pen a aussi vécu, l'enfant breton rejeté par les hommes en place. Cette humiliation sociale, c'est une force motrice".
Même si Steve Bannon a parfois un discours "simple", "alors qu'en France, nous aimons les idées", la convergence des luttes entre le gourou de l'alt-right et le FN est affichée et assumée. "On est pas obligé d'être d'accord sur tout, évidemment, et nous le faisons savoir quand c'est le cas", assure tout de même Nicolas Bay, vice-président du FN en charge des questions européennes. Reste que l'entente paraît parfaite. Un amour populiste que rien ne semble en mesure de gâcher.
"Nos idées comme des armes"
Devant la presse, après son discours, Steve Bannon a eu des mots merveilleux pour... Marion Maréchal-Le Pen. Le fantôme du FN n'est jamais loin. A la question de savoir s'il qualifiait toujours Marion Maréchal-Le Pen "d'étoile montante", comme en 2016 et s'il estimait que Marine Le Pen était "une étoile déclinante", réponse, tout en finesse :
"Je pense que c'était le meilleur discours après celui du président Trump. C'était électrisant ! C'est l'une des personnes les plus impressionnantes de la planète. La France est très chanceuse".
L'ancienne éminence grise de Donald Trump, aujourd'hui en exil, a d'ailleurs assuré avoir rencontré Marion Maréchal-Le Pen le mois dernier, au lendemain de son intervention remarquée devant le gratin conservateur américain.
Cette alliance de fortune entre un FN en quête de renouveau et un gourou débonnaire ira-t-elle plus loin que cette visite surprise au congrès ? "Vous nous prenez pour des débiles", sourit un proche conseiller de Marine Le Pen. "Bien sûr qu'on va tenter de créer plus de liens. On va voir comment les choses se développent. Louis Aliot a déjà fait beaucoup."
A la question de savoir quels projets il avait en Euro-pe, Steve Bannon, lui, a préféré éluder. Son centre gravité est encore aux Etats-Unis, a-t-il dit. Il veut y lever "une armée de volontaires" voulant "s'engager en politique" mais aussi un "think tank moderne" pour utiliser "nos idées comme des armes". Et pourquoi pas, dès lors, l'exporter en Europe.
Paul Laubacher
Commentaires
étonnant que la presse bien pensante n,ait pas dit un mot sur cette image , le salut de Bannon , une merveilleuse occasion pour rappeler les années les plus . . . !!
salutations.
Bravo à Steve Bannon pour son franc-parler ! Cela ne m'a jamais gêné d'être traité de "raciste". Il m'est arrivé de le dire haut et fort sous le nez d'un Maghrébin. Je précise néanmoins que je suis "racialiste", ce qui n'est pas tout à fait pareil (encore que...mais je m'en fiche!). Ne jamais se justifier ! Ne jamais se soumettre ! Plutôt crever !