Pourtant, comment ne pas se sentir mal à l'aise face à ces élans du coeur ? Car les plus généreux aujourd'hui sont peut-être les plus responsables de ce dérèglement planétaire. Les nouvelles habitudes alimentaires des pays émergents, largement importées des pays développés, expliquent en grande partie l'explosion de la demande, et donc les tensions sur les prix.
Ce n'est pas la seule raison. La concurrence des biocarburants en est une autre, essentielle. Or les Etats-Unis, si généreux avec le Programme alimentaire mondial, ont confirmé leur volonté de doubler les surfaces déjà très importantes qu'ils consacrent aux biocarburants. Face à l'automobiliste américain, le paysan haïtien ne fait pas le poids. Même chose pour l'Europe. Non seulement elle veut développer les biocarburants, mais, dans les négociations internationales, elle maintient une politique protectionniste qui déstabilise depuis longtemps les agricultures du tiers-monde et freine la réduction de la pauvreté.
Quant à la responsabilité de la Banque mondiale et au Fonds monétaire international (FMI), elle est également considérable. Pendant des décennies, ces institutions ont expliqué aux pays émergents que l'agriculture avait son avenir derrière elle. Les pays émergents ont ainsi favorisé les cultures d'exportation, destinées à leur rapporter des devises ; ils récoltent aujourd'hui les fruits amers de cette politique. Ainsi le Sénégal exporte des produits alimentaires - que l'Europe taxe quand il a l'audace de vouloir les transformer sur place -, mais doit importer environ 80 % du riz qu'il consomme. Or, non seulement le riz devient rare, mais les spéculateurs en font parfois grimper les prix de 30 % en une journée. La générosité soudaine de l'Occident ne saurait faire oublier la part de responsabilité qui est la sienne dans la crise majeure qui menace aujourd'hui.
(Le Monde 16 avril 2008)
Les pays du Tiers-monde, et les "émergents", ont des gouvernements qui sont, eux aussi, largement responsables de ces pénuries alimentaires!