FRANÇOISE DEKEUWER-DÉFOSSEZ, professeur émérite de droit à Lille-II
Comment jugez-vous cette annulation de mariage au motif que l'épouse n'était plus vierge ?
Françoise Dekeuwer-Défossez. Selon moi, elle n'est pas conforme au droit. Je comprends la décision du tribunal, puisque le mari et la femme étaient d'accord, mais juridiquement elle est contestable.
La demande de nullité du mari se fonde sur le mensonge relatif à la virginité de son épouse. Or, le Code civil ne reconnaît pas le mensonge comme une cause d'annulation du mariage. S'il fallait exiger une sincérité totale de la part des futurs époux il n'y aurait plus d'union ! L'erreur, elle, peut constituer un motif de nullité à condition qu'elle porte sur une qualité essentielle de l'un des deux conjoints, en l'occurrence ici, la virginité de l'épouse. Mais je doute que l'on puisse considérer la virginité d'une femme comme une qualité "essentielle".
Pourquoi ?
Au regard de la loi les qualités du conjoint doivent être non seulement essentielles aux yeux des époux concernés mais aussi pour la société. La virginité s'est avérée fondamentale pour ce couple - du moins pour le mari -, mais objectivement, elle n'est pas reconnue comme telle par notre société ainsi que le prouve le tollé suscité par ce jugement. Par ailleurs, la liberté sexuelle est inaliénable. Le mariage n'anéantit pas la notion de personne, de vie privée, d'égalité des sexes... Chaque époux a droit à un jardin secret et son passé n'est, a priori, pas susceptible de compromettre la réussite du mariage, à moins de consacrer une sorte d'obligation de fidélité rétroactive.
Quelles « qualités essentielles » peuvent être retenues pour annuler une union ?
Cette notion de « qualité essentielle » est trop floue pour donner lieu à une jurisprudence cohérente. L'état psychique, l'inaptitude sexuelle, le fait de ne pas vouloir d'enfant... sont à l'origine de la plupart des nullités invoquées sur ce point. En clair, tout ce qui touche au coeur du mariage, mais c'est une question très subjective. Les tribunaux ont tendance à faire une interprétation de plus en plus extensive de cette question, surtout quand les deux époux sont d'accord, comme cela semble être le cas dans cette affaire. Les juges doivent se montrer prudents et résister notamment aux sollicitations de toutes les religions, qui ont tendance à leur demander d'ériger leurs convictions en droit.
La ministre de la Justice a-t-elle eu raison de demander au parquet de faire appel ?
Il était indispensable de faire un recours car cette décision du tribunal de Lille est socialement inadmissible. Il aurait été bon de saisir la Cour de cassation pour qu'elle dise le droit. Je trouve en tout cas tout à fait étonnant que l'avocat de l'époux ait pris l'initiative de faire publier le jugement avant l'expiration du délai d'appel, au plus grand préjudice de son client.
(Le Parisien - 07 juin 2008)