Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

chaos

  • IRAK: LE GRAND ECHEC DE L'AMERIQUE

    David L. Petraeus, le généralissime des 155 000 soldats américains stationnés en Irak, n'est pas content du gouvernement de Bagdad. Celui-ci n'ayant "pas fait, et de loin, les efforts politiques et législatifs" attendus "en matière de réconciliation nationale", le nouveau champion des militaires, troublé par la recrudescence des violences depuis deux mois, recommande le maintien de son contingent à au moins 135 000 hommes et femmes jusqu'à la fin de l'année 2008. Et sans doute au-delà.

     

    Cinq ans après avoir envahi l'Irak avec 190 000 GI et 60 000 Britanniques - qui ne sont plus que 5 000 -, cinq ans après avoir essayé de réaliser l'impossible rêve néoconservateur d'instaurer la démocratie par la force dans le monde arabe avec, entre autres, l'objectif de renforcer la sécurité d'Israël, cinq ans après avoir débarrassé la région de la dictature de Saddam Hussein, l'Amérique est embourbée dans une impasse. La "stratégie démocratique" a été abandonnée en chemin, l'ambition n'est plus que de parvenir à stabiliser la situation.

     

    L'Amérique a perdu 4 000 soldats, et 29 000 ont été blessés. Mais elle ne contrôle toujours pas le pays, pas même les 16 km d'autoroute qui séparent sa "zone verte" ultrafortifiée au coeur de la capitale de l'aéroport de Bagdad. Après avoir dissous toutes les forces de sécurité irakiennes - "une grave erreur", admet-on à présent -, elle a dépensé plus de 20 milliards de dollars pour entraîner et équiper 250 000 policiers et 160 000 soldats irakiens dont les chefs disent eux-mêmes qu'au mieux ils ne seront pas prêts à prendre seuls en charge la sécurité nationale "avant 2012", et celle des frontières "avant 2018". L'armée américaine est épuisée, "incapable", disait l'amiral William Fallon avant d'être contraint à la démission la semaine passée, de "combattre sur un autre front" qui ne serait pas, cette fois-ci, "choisi" comme en Irak, mais imposé.

    Par ses mensonges, l'administration Bush a gâché, pour longtemps, l'image et le crédit des Etats-Unis à travers le monde. Le conflit d'Irak a contribué au quadruplement des prix du pétrole en cinq ans. Malgré les milliards de dollars injectés dans l'exploitation, la production irakienne, troisième du monde avant 2003, n'est même pas encore revenue à son niveau d'avant-guerre. Même chose pour la distribution d'eau potable - dont 40 % des populations sont désormais privées - et d'électricité, dont la majorité des Irakiens, à commencer par les 5 à 6 millions de Bagdadis, ne reçoivent guère plus de quatre à six heures par jour.

    En 2007, le Pentagone estimait que 70 % des 2 milliards de dollars (1,264 milliard d'euros) d'essence, kérosène et fioul produits par la raffinerie de Baiji, la principale du pays, "disparaissaient" dans la corruption généralisée qui sévit à présent partout en Irak. Bien sûr, une portion de ces détournements, estimée à "au moins 200 millions de dollars par an", participe au financement d'une insurrection, djihadiste et/ou nationaliste, qui trouve aussi des fonds privés à foison en Arabie saoudite, en Iran et dans les Etats du Golfe. Aujourd'hui en récession, l'Amérique surendettée a emprunté l'essentiel des 500 milliards de dollars déjà dépensés dans une guerre qui a, directement et indirectement, causé la mort d'au moins 400 000 Irakiens, selon l'Organisation mondiale de la santé. Elle a aussi déclenché, d'après le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU, la plus "vaste migration humaine" depuis la partition entre l'Inde et le Pakistan en 1947. Environ 4,4 millions d'Irakiens sont aujourd'hui des "déplacés" qui ont fui leurs maisons, 2 millions tentent de survivre dans les pays voisins, avec tous les risques de déstabilisation politique que cela implique.

    Que faire à présent ? Impossible de rester quand toutes les enquêtes d'opinion montrent que les trois quarts des 25 ou 26 millions d'Irakiens n'en peuvent plus de l'occupation. Que les enfants sont souvent les premiers à applaudir lorsque l'insurrection parvient à exploser un de leurs blindés ou à abattre un hélicoptère. Impossible de se retirer quand presque tous les analystes, les stratèges, les journalistes et la quasi-totalité des politiciens irakiens eux-mêmes prédisent qu'en pareille hypothèse un bain de sang est pratiquement assuré et l'extension de la guerre civile aux pays voisins, possible sinon probable.

     

     

    Confrontés à ce dilemme, que disent les successeurs potentiels de George W. Bush ? John McCain, le candidat républicain, estime qu'un retrait militaire complet déclencherait "génocide et chaos dans toute la région". Pour lui, l'Amérique doit être prête à rester en Irak "un siècle s'il le faut". Hillary Clinton annonce un "retrait progressif" qui commencerait dans les soixante jours suivant son élection. Mais, prudente, la candidate démocrate ne se prononce pas sur la date finale de l'opération. Barack Obama est le seul à promettre un retrait complet de "toutes les brigades de combat" dans les seize mois suivant son élection. Mais il ne dit pas ce qu'il adviendrait alors des 100 000 soldats et soldates - au moins - et des 60 000 "contractuels" civils étrangers qui s'occupent, sur le terrain, de logistique, de sécurité et des chantiers, pour l'essentiel en panne, de la reconstruction.

    La guerre a réveillé des haines intercommunautaires entre chiites et sunnites dans tout le Moyen-Orient. Tandis que l'Iran pavoise et s'infiltre dans les structures étatiques de son voisin, "les" guerres d'Irak se succèdent, s'additionnent et s'amplifient. Depuis l'offensive turque du mois de février contre le PKK, le Nord essentiellement kurde est devenu une poudrière qui peut exploser à tout moment. Dans le Sud, les gangs et les milices chiites kidnappent, assassinent et s'affrontent à l'arme lourde pour le contrôle des trafics. Depuis le recrutement par les Américains de 91 000 supplétifs - à 82 % sunnites -, les affrontements intrasunnites et intertribaux se multiplient.

    Le général Petraeus peut bien tancer le gouvernement irakien pour son manque de résolution. Celui-ci, chacun le sait, n'est qu'une addition de fiefs qui ne fonctionne qu'avec la moitié de ses ministres depuis des mois parce que les autres l'ont quitté pour diverses raisons, politiques et/ou sectaires. Après cinq années de tragédie ininterrompue, ce ne sont pas les 6 000 "soldats" d'Al-Qaida - dernière estimation du renseignement militaire américain - qui maintiennent seuls l'Irak dans la guerre. Ce sont les rivières de sang versé qui polarisent toutes les communautés comme jamais. Que les Américains s'en aillent ou qu'ils demeurent, la stabilisation de la vieille Mésopotamie n'est pas pour demain.