Le 24 octobre 1870, un décret donne la citoyenneté française aux 37.000 juifs d'Algérie.
Dans la foulée, les colons originaires d'Europe (Italie, Espagne, Malte,...) sont aussi francisés en bloc. Quant aux musulmans d'Algérie, ils sont ravalés au statut d'indigène. C'est le début d'une fracture douloureuse et irréductible entre les deux communautés.
Le décret concernant les juifs d'Algérie est promulgué à Tours, où s'est réfugié le gouvernement de la Défense nationale qui a succédé à l'Empire après la défaite de Sedan. Il peut être considéré comme l'une des premières grandes mesures de la IIIe République.
Sa paternité en revient au ministre de la Justice, Isaac Adolphe Crémieux, l'un des chefs du parti républicain. C'est le fils d'un commerçant juif de Nîmes. Juriste et philanthrope de 74 ans, il bénéficie d'une grande réputation d'intégrité dans le pays.
En 1863, suite à l'émotion soulevée par l'affaire Mortara, il avait participé à la création de l'«Alliance israélite universelle» et avait été porté à sa présidence, avec l'objectif de protéger les juifs où qu'ils soient.
Dans les années 1860, prenant acte de la fin de la conquête de l'Algérie, Napoléon III préconise l'instauration d'un royaume arabe sous protectorat français, un peu comme il en ira plus tard avec le royaume du Maroc. Lui-même aurait eu le titre de «roi des Arabes».
Par le senatus-consulte (décret impérial) du 14 juillet 1865, d'une grande générosité, les musulmans d'Algérie se voient reconnaître la nationalité française sans qu'il leur soit nécessaire de renoncer à la loi coranique : «L'indigène musulman est Français, néanmoins il continuera d'être régi par la loi musulmane. Il peut sur sa demande être admis à jouir des droits du citoyen ; dans ce cas il est régi par les lois civiles et politiques de la France».
Mais le projet se heurte à l'opposition violente des colons européens. Ces derniers, qui se situent du côté de la gauche républicaine, seront parmi les plus ardents à combattre Napoléon III et à se réjouir de sa chute.
La IIIe République, qui succède au Second Empire, prend le contrepied de la politique napoléonienne en intégrant plus étroitement l'Algérie à la France. Mais avec le décret Crémieux, elle établit une discrimination inédite entre les juifs, élevés au rang de citoyens français, et les musulmans.
Une partie de ces juifs étaient établis en Afrique du Nord depuis la première diaspora, au Ve siècle avant JC et ils étaient à l'origine d'une langue aujourd'hui perdue, le judéo-berbère. Les autres étaient originaires d'Espagne d'où ils avaient été chassés en 1492, d'où leur appellation de juifs sépharades (d'après le nom de l'Espagne en langue hébraïque). La «francisation» des uns et des autres avait débuté dès le lendemain de la prise d'Alger.
Les musulmans, très majoritaires, étaient issus des populations kabyles, des envahisseurs arabes ou encore des esclaves enlevés sur les côtes européennes jusqu'au XVIIIe siècle et convertis de force. Ils restaient globalement fidèles à leurs coutumes et en particulier au droit coranique.
"Pétri de bonnes intentions", le décret s'avère porteur de semences empoisonnées. Il consacre en Algérie la rupture entre les colonisés (exclusivement musulmans) et les colonisateurs, qui viennent d'Europe et auxquels s'assimilent désormais les juifs.
Dès l'année suivante, encouragé par la défaite de la France face à la Prusse, un notable musulman, le bachagha El Mokrani, soulève 250 tribus contre le gouvernement français. Sa révolte conduit le 8 avril 1871 à la proclamation de la guerre sainte par le grand maître d'une confrérie musulmane, Cheikh El-Haddad. Un tiers de la population musulmane entre alors en rébellion.
Le chef du gouvernement provisoire, Adolphe Thiers, dépose le 21 juillet 1871 un projet d'abrogation du décret Crémieux mais celui-ci est repoussé sous la pression du banquier Alphonse de Rothschild.
En France, où toute forme d'antisémitisme avait disparu sous la Restauration monarchiste et le Second Empire, le décret entraîne paradoxalement une mise en lumière des juifs. L'antisémitisme apparaît avec force sous la IIIe République, à la faveur du scandale de Panama, qui précèdera de peu l'affaire Dreyfus.
(Source: Herodote.net)