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inceste

  • Une affaire d'inceste jugée en Allemagne

    Patrick et Susan n’ont pratiquement plus aucun espoir de pouvoir vivre ensemble. L’histoire de ces frère et sœur de Leipzig (ex-RDA) tient l’opinion allemande, mais aussi la justice, en haleine depuis des années. Patrick (31 ans) et Susan (26 ans) disent s’aimer et ne pas pouvoir vivre l’un sans l’autre. Ils ont ensemble quatre enfants. Mais jeudi, la plus haute juridiction allemande, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, a rendu un arrêt qui risque de mener de nouveau Patrick en prison : elle vient de confirmer la validité du paragraphe 173 du code civil, qui prévoit jusqu’à deux ans de prison et une amende en cas d’inceste entre frère et sœur. L’avocat des deux jeunes gens, qui n’ont pas grandi ensemble, envisage désormais de se tourner vers la Cour européenne de Strasbourg. Mais la procédure, longue et coûteuse, ne changera dans un premier temps rien au sort de Patrick et Susan.

    Code napoléonien. L’inceste entre frère et sœur n’est délictueux ni en France, ni en Belgique, ni aux Pays-Bas, ni au Luxembourg, ni au Portugal. Pas même en Italie, où les amants incestueux ne risquent rien tant que leur relation ne provoque aucun scandale… La Turquie, la Chine et la Russie ignorent l’inceste entre frère et sœur du point de vue juridique. L’inceste est, par contre, formellement interdit en Grande-Bretagne, en Pologne, en Suisse, au Danemark et dans nombre d’Etats américains. En France, la dépénalisation de l’inceste entre frère et sœur remonte à 1810 et au code napoléonien. «Les pays qui ont adopté le code napoléonien ont suivi, insiste l’un des défenseurs du couple, Knut Amelung. Pas l’Allemagne.»

    «En Allemagne, l’interdit n’est justifié que par la morale», s’insurgent les juristes qui ont soutenu la plainte de Patrick S. De fait, la Cour constitutionnelle semble avoir le plus grand mal à justifier sa décision et invoque le risque élevé de naissances d’enfants handicapés en cas de trop forte consanguinité. «Cela est inacceptable, s’indigne un juriste. Dans ce cas, il faudrait aussi interdire aux handicapés d’avoir des enfants, ce qui est bien sûr impensable !»

    Les juristes font du cas de Leipzig une affaire de principe. Cinq à six cas seulement se présentent chaque année devant les tribunaux allemands. Pourtant, le paragraphe 173 du code civil est à bien des égards problématique. Le fait d’invoquer la possibilité de naissances d’enfants anormaux «ne peut en soit justifier l’attribution d’une peine», estime l’un des huit juges de la Cour, Winfried Hassemer, le seul à avoir voté pour l’abolition du paragraphe.

    De plus, le paragraphe 173 interdit spécifiquement l’«accouplement» entre frère et sœur, pas les autres pratiques sexuelles. «Pratiques qui pourraient tout autant, si on reste dans cette logique, perturber l’ordre familial», insiste le juge. En clair, l’interdiction de l’inceste ne serait justifiée que par la morale, comme l’a été l’interdiction de l’homosexualité pendant des siècles.

    Sordide. Pas question pour les juges et avocats soutenant le couple d’encourager l’inceste, bien évidemment. D’autant que l’histoire de Patrick et Susan n’a rien d’une belle romance. Tous les ingrédients d’un sordide drame familial sont même réunis : un père alcoolique, une mère dépassée… Patrick est confié très jeune à un foyer, puis adopté par une famille de Potsdam. A 24 ans, il décide d’en savoir plus sur ses origines, et se rend à Leipzig. Il y fait connaissance de sa mère (le père est entre-temps décédé) et de Susan, 16 ans. Légèrement débile, la jeune femme souffrirait d’un trouble de la personnalité. Tous deux disent s’être «immédiatement reconnus».

    Au coup de foudre succèdent quatre naissances en cinq ans. Plusieurs de leurs enfants sont handicapés, et Patrick, condamné pour inceste, se retrouve en prison. Susan, pendant son absence, a un cinquième enfant avec un homme nettement plus âgé. Mais retourne vivre avec son frère à sa sortie de prison. Sa libération aura été de courte durée : l’avocat du couple s’attend à voir son client retourner dans les toutes prochaines semaines derrière les barreaux.

    (Source: LIBERATION - 17 mars 08)