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KATYN : UN FILM POUR MEMOIRE

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Andrzej Wajda à Varsovie
Ce film, le cinéaste polonais Andrzej Wajda l'appréhendait autant qu'il le désirait. Il s'était fait la promesse intime de le réaliser, il y a des années. A 81 ans, il vient enfin d'accomplir ce qu'il appelle "un devoir" : porter à l'écran l'histoire de sa vie et un pan de la mémoire polonaise contemporaine, le massacre de Katyn.

 


En septembre 1939, 22 000 officiers polonais sont faits prisonniers par l'Armée rouge, qui vient d'envahir la Pologne, en vertu du pacte de non-agression germano-soviétique Ribbentrop-Molotov. En mars 1940, Staline donne l'ordre de les fusiller : 4 410 d'entre eux disparaissent dans la forêt de Katyn, près de Smolensk, dans l'Ouest russe. D'autres charniers seront découverts ailleurs. Cette hécatombe à huis clos a longtemps été maintenue secrète.

Andrzej Wajda a dédié Katyn à ses parents. A son père, Jakub, capitaine au 72e régiment d'infanterie, mort à Katyn. A sa mère, Aniela, qui "s'est nourrie d'illusions jusqu'à sa mort, car le nom de mon père figurait avec un autre prénom sur la liste des officiers massacrés", a-t-il confié, mercredi 12 septembre, à l'avant-première de son film, à Varsovie. Pourtant, ce long métrage n'est "ni une quête personnelle de la vérité ni une bougie funéraire posée sur la tombe du capitaine Jakub Wajda", se défend le cinéaste.

Le film s'ouvre la journée du 17 septembre 1939. Sur un pont, deux foules de civils polonais se croisent, s'entrechoquent en sens inverse : l'une fuit l'Armée rouge, l'autre la Wehrmacht. Dès les premiers plans, Andrzej Wajda donne le ton en cadrant une femme paniquée, à la recherche de son mari, un officier de l'armée polonaise.

Car, à la surprise générale, Katyn n'est pas un film sur les officiers, mais sur leurs épouses, leurs mères ou leurs soeurs restées en Pologne, coupées de la vérité puis soumises à la censure. Les personnages centraux ne sont pas à chercher parmi les gradés en uniforme, mais chez leurs femmes, à travers le drame qu'elles vivent dans leur foyer de Cracovie. D'ailleurs, Wajda n'a pas attribué de nom de famille à ses officiers. Le capitaine de cavalerie Andrzej, le lieutenant Jerzy, le lieutenant "Pilot" ne sont au final que des archétypes.

Le film est pétri de métaphores, qui portent la griffe d'Andrzej Wajda, celles qui l'ont fait connaître dès Kanal (1957) ou Cendres et diamants (1958) : un christ baroque couché à terre, parmi les blessés de guerre, et caché sous la cape d'un officier ; deux soldats de l'Armée rouge qui déchirent le drapeau national polonais bicolore et se servent de la moitié rouge en guise de fanion soviétique ; une plaque funéraire brisée pour avoir affiché l'indicible sous le régime communiste : "Tué à Katyn en avril 1940."

Il y a surtout cette scène finale, une apothéose de réalisme, détaillée sans jamais virer au pathos. On y voit l'exécution méthodique, à la chaîne, minutieusement orchestrée par le NKVD, la police secrète de Staline, des 4 410 officiers de l'armée polonaise en avril 1940, dans la forêt de Katyn. Des agents soviétiques tirent machinalement, à une cadence soutenue, une balle de revolver Walther dans la tête des officiers. Les victimes s'effondrent, leurs corps jetés dans les fosses communes. Puis vient le ballet des bulldozers qui défoncent le sol et recouvrent les cadavres.

Dans les salles polonaises à partir du 17 septembre, date toute symbolique - celle du début de l'invasion de la Pologne en 1939 par les troupes soviétiques, seize jours après la Wehrmacht -, la dernière oeuvre de Wajda est une première. Aucun metteur en scène polonais n'avait réussi à porter ce chapitre sombre de l'histoire à l'écran. Pour s'assurer du succès, Andrzej Wajda a confié les images à Pawel Edelman, chef opérateur du Pianiste, de Roman Polanski, et la musique au compositeur Krzysztof Penderecki. Le scénario s'appuie sur le roman d'Andrzej Mularczyk, Post mortem.

Salué par une grande partie de la presse, le dernier film de Wajda n'échappe pas à la critique. On lui reproche d'escamoter l'Histoire en ne faisant que survoler le destin des officiers polonais qui ont pu survivre à Katyn par la promesse, imagine-t-on, de servir la propagande soviétique. Il y a aussi la critique mordante de l'hebdomadaire Newsweek qui, dans son dernier numéro, fustige "la sortie la plus attendue de la saison" comme "la célébration d'un mythe national et un échec artistique".

Sans oublier la réaction d'un spectateur, mercredi lors de l'avant-première, apostrophant Andrzej Wajda : "Avec Katyn, vous laissez entendre que si vous n'aviez pas menti sur la mort de votre père à Katyn, vous n'auriez pas pu entrer à l'université sous le régime communiste et que l'école polonaise du film n'aurait jamais existé ?" Agacé, le cinéaste s'est dérobé. "Permettez, monsieur, que je confesse mes péchés plus tard, et devant une autre audience", a-t-il sèchement répondu.

Le film relance surtout le débat public sur le massacre des officiers, à un moment où la Pologne tente toujours de recomposer son passé. A ce jour, on ignore toujours le sort de 7 000 soldats et officiers polonais disparus après avoir été faits prisonniers par l'Armée rouge en 1939. L'Allemagne nazie avait mis au jour certains charniers après la rupture du pacte Ribbentrop-Molotov et l'invasion de l'URSS en 1941. Mais les noms des premiers officiers retrouvés dans le charnier de Katyn n'avaient pas été révélés avant 1943.

Quant au massacre lui-même, il avait été "récupéré" par les Nazis, qui accusait Moscou de ce massacre, puis par les Soviétiques, qui en rejetaient la faute sur Hitler. Il fournit l'occasion de rompre les relations diplomatiques de l'URSS avec le gouvernement polonais en exil à Londres.

Il a fallu attendre 1990 pour que le régime soviétique finissant admette, par la bouche de Mikhaïl Gorbatchev, sa responsabilité, tout en évitant de parler de "crime contre l'humanité, imprescriptible", comme le demandait Varsovie. En 1992, Boris Eltsine avait remis aux autorités polonaises un document d'archives prouvant formellement l'implication des autorités soviétiques dans le massacre. Aujourd'hui, le travail de mémoire est inachevé : il bute sur la décision, prise par Moscou, en 2005, d'interdire l'accès aux dossiers concernés.

De son côté, la Pologne aura attendu soixante-sept ans pour voir le massacre de Katyn porté à l'écran. "Ce film n'aurait pas pu voir le jour avant. Ni en Pologne communiste, soumise à la censure, ni à l'étranger, qui s'est désintéressé du sujet", a conclu le réalisateur.

(Source LE MONDE)

Commentaires

  • Cette phrase est très curieuse :
    « Quant au massacre lui-même, il avait été "récupéré" par les Nazis, qui accusait Moscou de ce massacre, puis par les Soviétiques, qui en rejetaient la faute sur Hitler »
    En effet, elle laisse penser que c’est dans une même démarche de propagande que les Allemands et les Russes se sont accusés de ce massacre. Comme, on le sait maintenant, c’est avec raison que les Allemands ont accusé les Russes et, au contraire les Russes ont accusé les Allemands du forfait qu’ils avaient eux-même commis. On ne peut parler de « récupération » de la part des Allemands. La différence est énorme. Cette phrase n’est ni plus ni moins que de la désinformation, c’est de la propagande.
    Il faut aussi rappeler que lorsque les Allemands ont découverts ce charnier en 1943, ils ont ouvert une enquête internationale, dont fit partie Brasillach, et qui a permis d’établir sans conteste la responsabilité des communistes russes. Mais après la défaite de l‘Allemagne en 1945, il fut facile aux communistes de nier cette vérité, avec d’ailleurs la complicité des vainqueurs. Et pendant de longues années toute personne qui osait rappeler que ce massacre était dû aux communistes se faisait aussitôt traiter, comme d’habitude, de « Nazi ».
    Avec toute mon amitié.

  • Cher abad, on ne pas pas parler de bonne foi de récupération" par les Allemands pour leur propagande. Le Monde préfère être plus "rouge" que "noir... Et dire que ce journal passe pour l'objectivité même...

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