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Le nu retrouvé

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Femme nue couchée (oeuvre disparue, h/t, 75 × 95, signée datée en bas à droite, "Gustave Courbet" et "1862". Fernier 335 ; Courthion 321). Cette notice elliptique désigne un nu de Courbet, l'un de ses plus beaux et des plus érotiques, huile sur toile de 1862, d'une authenticité inattaquable. Une oeuvre "disparue" : on ne l'a plus revue depuis une exposition au printemps de 1940, au Musée des beaux-arts de Budapest.

 


C'est pourtant lui que vous avez sous les yeux : une jeune femme, cheveux noirs dénoués, étendue sur un lit, vêtue seulement d'une paire de bas blancs. En raison de son importance dans l'oeuvre, de sa qualité, de sa longue disparition et de sa réapparition soudaine, ce tableau, propriété d'un collectionneur londonien, sera l'une des raretés de la rétrospective Courbet qui ouvrira au Grand Palais le 13 octobre. Elle pourrait voler la vedette à L'Origine du monde, devenue le plus célèbre sexe féminin de la peinture - une toile avec laquelle elle a bien des points communs, historiques et artistiques.

Gustave Courbet a peint Femme nue couchée entre mai et septembre 1862. Il séjourne alors en Saintonge, au château de Rochemont, chez son ami Etienne Baudry. Celui-ci est le premier propriétaire de la toile, dont le modèle serait une jeune Saintaise prénommée Françoise. La toile réapparaît en 1878, à la Galerie Durand-Ruel, quand Baudry s'en sépare. Elle passe de collection en collection, avant de devenir la propriété du personnage central de l'histoire, le baron Ferenc Hatvany.

Grâce aux travaux récents de Thierry Savatier (L'Origine du monde, Bartillat, 250 p., 20 €), Ferenc Hatvany et sa collection sont aujourd'hui mieux connus. Né en 1881, il descend d'une ancienne et importante dynastie de financiers juifs, banquiers de la monarchie hongroise au XVe siècle. Les affaires de la famille ayant prospéré dans l'industrie sucrière, les Hatvany jouissent au début du XXe siècle de la plus considérable fortune de Budapest. Le jeune baron ne s'intéresse ni au sucre ni à la banque, mais à la peinture. Elève à Paris dans l'atelier de Jean-Paul Laurens, il travaille dans un style entre réalisme et impressionnisme. Surtout, il collectionne. A partir de 1908, il constitue un ensemble de ce qu'il aime plus que tout, la peinture française du XIXe siècle : Ingres, Delacroix, Corot, Chassériau, Manet, Renoir. Et Courbet - Courbet plus qu'aucun autre. Il achète Les Lutteurs, aujourd'hui au Musée des beaux arts de Budapest, des portraits, une version de La Vague, une nature morte. En 1913, à la galerie Bernheim-Jeune, à Paris, il acquiert L'Origine du monde. Puis, en 1913 encore, la Femme nue couchée, auprès du marchand berlinois Paul Cassirer.

Il l'accroche dans son hôtel particulier, au 26, Hunyadi Janos uca, sur la colline de Buda, près du palais royal. Sur tous ses murs, il y a des tableaux - entre 750 et 800. L'Origine du monde est en retrait, dans la salle de bains du baron, mais la Femme nue couchée est en évidence dans l'un des grands salons : des photographies en témoignent. L'oeuvre est prêtée pour des expositions : en 1929 à Paris, en 1938 à Amsterdam, en 1939 à Belgrade. Et donc, pour la dernière fois, à Budapest même, au début de 1940.

A cette date, Ferenc Hatvany ne se fait déjà plus aucune illusion sur le sort des juifs hongrois. La première loi antisémite promulguée par le gouvernement pronazi de l'amiral Horthy date de 1938. D'autres suivent, de plus en plus cruelles, jusqu'à celles de 1942, qui préparent l'expropriation des biens juifs. Au même moment, l'aviation soviétique bombarde pour la première fois Budapest, capitale d'un Etat ennemi. Hatvany décide d'entreposer ses biens les plus précieux dans les caves des principales banques de Budapest. Deux amis chrétiens prêtent leurs noms, Karoly Veszely et Janos Horvath. En septembre 1942, L'Origine du monde rejoint les sous-sols de la Banque commerciale hongroise, la Femme nue couchée ceux du Crédit général de Hongrie.

(Source LE MONDE 28.O9)

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