Il s’en est fallu de très peu pour que l’association l’Arche de Zoé embarque, jeudi, à bord d’un Boeing 757, 103 orphelins originaires du Darfour pour la France où les attendaient les familles d’accueil. Au dernier moment, les autorités tchadiennes ont mis le holà à cette opération d’évacuation «sanitaire» aux allures de trafic de mineurs en vue d’une adoption. Neuf Français, dont trois journalistes (deux de Capa et France 3 et un photographe), sont sous les verrous à Abéché.
Que savaient les autorités françaises ?
«On a fait tout ce qu’on avait à faire pour interdire, pour empêcher cette opération, assurait vendredi la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme, Rama Yade. Après, ils l’ont menée de manière clandestine, sans avoir prévenu personne, sans l’aval des autorités.» Une version contredite par la vice-président du Collectif des familles pour les orphelins du Darfour (Cofod), Maryse Cales : «On avait toutes les autorisations, c’est un revirement des autorités tchadiennes. Si la France avait voulu interdire l’opération, elle en avait les moyens.»
En fait, l’Arche de Zoé a été reçue à plusieurs reprises par les cabinets de Bernard Kouchner et de Rama Yade : à chaque fois, il est répété à ses responsables que le Tchad et le Soudan interdisent l’adoption. «A trois reprises, rappelle une source diplomatique, nous avons diffusé un communiqué pour dire que nous étions très réticents envers cette opération telle qu’elle se présentait et pour mettre en garde les familles candidates à l’accueil. On ne pouvait quand même pas les arrêter préventivement.»
A la même période, Eric Breteau, le président de l’Arche de Zoé, est auditionné par la Brigade des mineurs pour suspicions d’activités d’intermédiaire en vue de l’adoption d’enfants du Darfour. «Il s’est expliqué et a été mis hors de cause», justifie Estelle Frattini, secrétaire général adjointe du Cofod.
Pourquoi l’Arche de Zoé a-t-il pu quasiment mener à bien son projet ?
L’avion, loué pour l’occasion la société Cargo Leasing, a atterri à Abéché, dont l’aéroport est quasiment sous le contrôle de… l’armée française. Plus étonnant encore, l’équipe de l’Arche de Zoé, présente au Tchad depuis début septembre, a été transportée à plusieurs reprises par l’armée française entre la capitale N’Djaména et l’est du pays. Rien d’étonnant, se justifie l’état-major français : les membres de l’association opéraient sous le nom d’une autre ONG, Children Rescue. D’ailleurs, le chef de mission de l’ONG n’est autre qu’Eric Breteau. L’Unicef, le HCR, l’ambassade de France, les autorités tchadiennes, qui multipliaient les déclarations outrées vendredi, semblent découvrir la supercherie.
Pourtant, la drôle d’allure des membres de Children Rescue, pour la plupart des pompiers en tenue, aurait pu éveiller les soupçons de l’ambassade ou des militaires, qui se targuent de ne rien ignorer de ce qui se passe au Tchad. De même, pour les rotations de petits avions afin de transporter les enfants d’Adré et Bahaï, à la frontière du Soudan, vers la base d’Abéché. Selon le membre d’une ONG au Tchad, «ils ont nécessairement bénéficié de complicités mais dire à quel niveau, c’est difficile».
Face à la colère des familles d’accueil, dont certaines se sont rassemblées devant l’ambassade du Tchad, Rama Yade leur a tendu une perche : «J’ai l’impression que ces familles sont de bonne foi et ont été abusées par les responsables de cette association.»
Comment a procédé l’Arche de Zoé ?
«L’Arche de Zoé a agi en toute transparence, assure Estelle Frattini. Dès le départ, elle a dit aux familles que le Soudan ne pratiquait pas l’adoption.» Ce n’est pourtant pas ce que révèle la lecture du dossier transmis aux familles candidates par l’association en mai, comme le révèle le site Rue 89. Aujourd’hui, plus aucune famille ne parle d’adoption mais de demandes d’asile (d’enfants de moins de 5 ans !) ou d’accueil d’urgence. Parmi les familles françaises et belges sélectionnées – au départ, 250 dossiers avaient été retenus mais faute d’enfants, certaines ont dû renoncer –, il y a de tout : des couples ou des célibataires sans enfants, certains ayant un agrément pour adopter, des familles nombreuses venues par compassion. Pas question non plus de confirmer les sommes payées, allant de 1 500 à 8 000 euros, selon des sources diplomatiques. «Il avait été demandé une contribution de 2000 euros par famille, assure Estelle Frattini. Mais chacune a payé selon ses moyens.»
Quant aux enfants, l’association assure qu’ils viennent de petits villages de l’ouest du Darfour, principalement de la tribu zaghawa. Le Cofod assure que les membres de l’Arche de Zoé ont enquêté plusieurs semaines pour établir l’état civil des enfants et s’assurer qu’ils sont orphelins. Quand on connaît l’état de l’administration du Darfour et les déplacements de populations dus à la guerre, cela paraît peu vraisemblable.
Selon des sources au Tchad, certains enfants viendraient du camp de réfugiés de Farchana, entre Adré et Abéché. Le président tchadien, Idriss Déby, va jusqu’à accuser l’ONG d’avoir «enlevé» des enfants tchadiens ayant encore leurs parents.
L’Arche de Zoé, qui avait beaucoup communiqué sur son projet d’«évacuation d’enfants en danger de mort», est restée discrète sur les conditions d’arrivée en France : la préfecture de la Marne dit ne pas avoir été prévenue de l’arrivée d’un tel vol sur l’aéroport de Vatry, habituellement consacré au fret.
Pourquoi de telles précautions ? Quelles conséquences ?
Fondée juste après le tsunami en Asie, en 2004, par Eric Breteau, un sapeur-pompier d’Argenteuil et aussi président de la Fédération française de 4 x 4, l’Arche de Zoé est une petite ONG peu expérimentée et animée par l’envie de dénoncer ce qu’elle appelle le «génocide au Darfour» à travers un coup médiatique, soutenu du moins au début par l’association Sauver le Darfour. Son président, Mahor Chiche, défend la démarche, pas les adoptions : «C’est quand même ironique de la part de Bernard Kouchner, qui a sauvé les boat people, de réclamer aujourd’hui le respect du droit soudanais.»
Toutes les ONG pratiquant l’humanitaire au Tchad et au Darfour ainsi que celles s’occupant d’adoption sont consternées. «Nous n’avions pas besoin de cela», assure un humanitaire. D’autant que N’Djamena en a rajouté : le gouverneur d’Abéché a accusé l’ONG de vouloir soustraire des enfants tchadiens à l’Islam. Le président Déby parle même de prélèvement d’organes. Dans un mois, les premiers éléments de la force européenne, à forte coloration française, doivent débarquer dans l’est du Tchad pour sécuriser les réfugiés du Darfour.
(Source: LIBERATION)
Commentaires
très bel article synthétique. En espérant que cet évenement concernant les enfants du Darfour permette de faire avancer cette crise majeure. Ce pourrait être un cathalyseur.
@ Marc: j'espère comme toi que cette affaire de l'Arche de Zoé puisse faire avancer les choses. Ce génocide doit cesser. Les images prises au Darfour sont insoutenables, quelles que soient les fautes d'Eric Breteau et de ses amis. L'arbre ne doit pas nous cacher la forêt. Il y a 4 ans que ça dure!