Patrick Simon est sociodémographe à l’Institut national d’études démographiques (Ined). Il fait partie du groupe de concepteurs de l’étude «Trajectoires et origines», également pilotée par l’Insee. Menée auprès de 24 000 personnes, elle débutera en 2008 et comprend des questions «sensibles» sur l’origine, la couleur de peau, la religion…
Elle est un peu difficile à décoder. De mon point de vue, l’article 1er de la Constitution dit très clairement que la loi ne saurait faire aucune distinction entre les individus selon la race ou l’origine, mais les statistiques ne sont pas des lois au sens de l’article premier. J’observe donc que, si le sens de cette remarque signifie qu’aucune statistique ne doit faire référence à l’origine ethnique ou à la race, cela signifie que la loi informatique et libertés, qui dit que les données révélant l’origine ethnique et raciale ne doivent pas être collectées – sauf huit cas d’exception, dont les enquêtes répondant à un intérêt public –, est anticonstitutionnelle…
Robert Badinter relève que la loi informatique et libertés n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel…
Peut-être, je ne suis pas juriste. Il faudrait que les sages expliquent ce qu’ils ont voulu dire par «les données objectives ne sauraient reposer sur l’origine ethnique ou la race». Ni nous ni personne n’a de définition de l’origine ethnique ou de la race, et ça n’est pas propre à la France, c’est valable pour la plupart des pays. Dans notre enquête, nous posons la question de la couleur de la peau, est-ce assimilable à la race ?
Un autre point me paraît également curieux dans l’avis du Conseil, c’est que, alors que la religion figure dans l’article 1er de la Constitution, il n’en parle pas [ce qui voudrait dire que les questions relatives à la religion sont autorisées, ndlr]. Je ne vois pas pourquoi ils l’ont supprimée.
Êtes-vous inquiet pour la suite de votre étude ?
Nous avons commencé à travailler sur cette étude il y a deux ans, avant l’existence de l’article 63, dans les conditions de la loi informatique et libertés. Nous ne savons pas ce que la décision du Conseil constitutionnel va provoquer du point de vue du débat public et des règles de décision de la Cnil. En théorie, notre étude n’est pas subordonnée à la loi Hortefeux.
Le Comité du label (1) nous a donné le label de qualité statistique sous réserve que la Cnil valide l’opportunité des questions sensibles, ce qui devrait être fait début décembre. La Cnil a déjà vu le questionnaire de l’enquête, et elle va donner un avis circonstancié sur la façon dont on va informer les enquêtés, les avertir de leurs droits, demander ou pas leur consentement exprès, et in fine sur la façon dont ces données seront diffusées. On ne sait donc pas ce que la décision du Conseil constitutionnel va générer du côté de la Cnil.
La disposition de la loi Hortefeux et votre enquête ont fait l’objet d’attaques violentes, notamment de SOS Racisme…
Ce débat peut avoir un bénéfice, montrer que les choses sont assez compliquées !
(1) Le Comité du label des enquêtes statistiques, régi par l’article 20 du décret du 7 avril 2005, examine les projets d’enquête des services producteurs d’informations statistiques ainsi que les projets d’exploitations statistiques.
(Source LIBERATION)