Brillant investisseur, M. Leeson avait fait gagner 20 millions de dollars à la Barings en 1994 grâce à ses activités de négoce. Sa hiérarchie lui avait alors laissé le champ libre, sans aucun contrôle.
Après avoir fui, M. Leeson a finalement été arrêté et ramené à Singapour, où il a été condamné à six ans de prison. Quant aux actionnaires de la Barings, ils ont tout perdu. Les détenteurs d'obligations de la banque ont reçu 5 cents pour 1 dollar de valeur faciale. Les activités restantes de l'établissement bancaire ont été acquises par ING pour 1 livre sterling.
***
Sans équivalence dans l'histoire de la finance, cette malversation est le fait d'un homme, qui, seul, grâce à sa connaissance de l'informatique bancaire, est parvenu à déjouer tous les systèmes de contrôle des risques d'une entreprise censée compter parmi les plus contrôlées et les mieux gérées en Europe.Prenant acte des faits, le PDG de la Société générale, Daniel Bouton, a proposé sa démission au conseil d'administration convoqué dans l'urgence, mercredi. Celle-ci, indique la banque, a été refusée par les administrateurs.
La fraude a été découverte dimanche, après un contrôle des risques banal vendredi soir et deux jours d'enquête, mais a ensuite été tenue secrète. Un comité de crise a, en effet, été réuni dans l'instant par le PDG de la Société générale, M. Bouton, sous l'égide du gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, et en la présence du secrétaire général de l'Autorité des marchés financiers (AMF), Gérard Rameix.
Les trois hauts responsables sont convenus de garder l'affaire secrète, le temps que la banque gère la crise ouverte, au pire moment pour les marchés financiers, qui redoutent la contagion au reste du monde de la récession annoncée aux Etats-Unis.
Jeudi, la Société générale a annoncé que ses profits pour 2007 s'élèveraient à quelque 700 millions d'euros, alors qu'elle s'attendait à des bénéfices de plus de 5 milliards d'euros ! Ceux-ci étaient déjà amputés de 2 milliards d'euros de dépréciations d'actifs du fait de la crise des subprimes.
La fraude a donc coûté autour de 4,9 milliards d'euros à l'établissement, soit bien davantage que les pertes de la banque britannique Barings, elle-même victime, en 1995 ! Dans le même temps, afin de renforcer des fonds propres brutalement dégradés par ces pertes, la banque a annoncé, jeudi, qu'elle lançait une augmentation de capital de 5,5 milliards d'euros. Cette opération devrait lui permettre d'atteindre le ratio de solvabilité réglementaire de 8 % (engagements rapportés aux fonds propres).
La banque affirme avoir obtenu les garanties qu'elle soit souscrite, si ce n'est par les actionnaires actuels, par les deux banques américaines Morgan Stanley et JP Morgan, qui se chargeraient alors de trouver des investisseurs institutionnels.
Toutes ces dispositions ont été mises au point par M. Bouton, avec une équipe de dirigeants resserrée, au cours des cinq derniers jours. Celle-ci a travaillé 24 heures sur 24. "Nous venons de vivre les cinq jours les plus difficiles de notre vie", lâchait, jeudi, un proche de M. Bouton.
La Société générale devait dévoiler, dans la journée de jeudi, la mécanique qui a permis à un employé de prendre des positions financières de plusieurs dizaines de milliards d'euros, sans que jamais personne ne s'en aperçoive. Ou que les pare-feux du système de contrôle ne fonctionnent, comme c'est censé être le cas.
Au vu des premières informations, il apparaît que le responsable de la fraude est un homme assez jeune mais expérimenté, employé depuis au moins huit ans dans l'établissement. Ce trader, un ancien "technicien" de la banque, c'est-à-dire un fin connaisseur des centres de traitement des opérations bancaires, exerçait le métier d'arbitragiste.
Cela consiste à prendre des positions financières sur des marchés en fonction des opportunités, en l'occurrence sur le marché des futures (contrats à terme) en Europe. Ces positions ne cessaient d'être ouvertes, fermées, créant un brouillard total. La banque les a toutes soldées sur les marchés ces derniers jours.
Jeudi, la place financière de Paris restait sous le choc de l'annonce. La Commission bancaire a annoncé l'ouverture d'une enquête, jeudi matin. M. Noyer, le gouverneur de la Banque de France, pour sa part, s'efforçait de rassurer : "C'est une fraude très grave, mais la Société générale a les reins solides. Elle a pu traiter cette opération dans des délais serrés." "Les meilleures lois n'empêchent pas les délits", poursuit M. Noyer qui appelle à la confiance. "Cet événement n'a rien à voir avec la crise des subprimes."
Une centaine d'actionnaires de la banque ont, pour leur part, déposé une plainte auprès du procureur de Paris pour "escroquerie, abus de confiance, faux et usage de faux et complicité, et recel". Leur avocat, Me Frederik-Karel Canoy, qui n'a pas chiffré le montant exact du préjudice de ses clients, a précisé que ces actionnaires – des Français, des Belges ainsi qu'un Néerlandais – "ont, à ce jour, probablement perdu la totalité de leurs actions" et ont donc "réagi très rapidement". "Les demandes continuent d'affluer", a assuré Me Canoy.
(LE MONDE 24.01.08)