Les partisans de l'initiative, menés par l'UDC, le parti populiste, affirment que le minaret, plus qu'un simple signe indiquant la présence d'une mosquée, est "le symbole du pouvoir politico-religieux" que l'islam veut imposer, éventuellement par la force, en Suisse. Aujourd'hui, seulement quatre minarets existent dans le pays et deux sont en projet, dont celui de Langenthal.
Matteo Gianni, politologue, chercheur à l'Université de Genève et membre du Groupe de recherche sur l'islam en Suisse (GRIS), décrypte pour TF1 News les tenants et les aboutissants de ce référendum.
TF1 News : Cette "initiative populaire" s'apparente-t-elle à une opération électoraliste menée par l'UDC sur fond de populisme ou présente-t-elle également un aspect sociétal ?
Matteo Gianni : Il y a un peu des deux. Traditionnellement, l'UDC thématise les questions de l'altérité, de l'étranger et plus globalement de l'immigration, qui est l'un de ses chevaux de bataille. L'objectif électoraliste de cette initiative est donc évident. Néanmoins, il ne faut pas non plus sous-estimer le réel questionnement sur l'islam dans le pays. Dans les réunions publiques, la question des minarets a souvent été utilisée pour emmener une discussion plus générale concernant l'islam en Suisse. Le débat dépasse ainsi largement la question de l'interdiction ou non des minarets.
TF1 News : Justement, le simple fait que l'initiative soit soumise au vote, donc qu'elle ait obtenu 100.000 signatures, signifie-t-il qu'une partie de la société suisse se radicalise vis-à-vis de l'islam ?
M.G. : Oui. Je suis allé dans beaucoup de ces conférences lors de la campagne. Souvent, la lutte contre le minaret était présentée par les partisans de l'initiative comme la lutte contre l'islamisation rampante de la Suisse. D'ailleurs, l'UDC, qui représente environ 25% des voix en règle générale, a touché bien au-delà de son électorat. Les derniers sondages donnent ainsi le "non", soutenu par tout le reste de l'échiquier politique, à 53%, le "oui" à 37% et les indécis à 10%. Il faut donc s'attendre à un résultat serré.
Et il ne fait aucun doute que tout le débat public et politique, très intense au cours des deux derniers mois, va laisser des traces. Il est plausible de penser qu'il y aura relativement rapidement d'autres actions politiques sur la place de l'islam, par exemple autour du voile ou de la burqa (qui par ailleurs est, de nos jours, encore pratiquement inexistante en Suisse).
"Débat sur l'islam, pas sur les minarets"
TF1 News : Peut-on parler d'une déconnexion entre les grands partis et la population sur le sujet ?
M.G. : En partie. Mais si les socialistes et la droite sont contre l'initiative puisqu'ils considèrent qu'elle va exacerber des tensions religieuses pour l'instant inexistantes, cela ne veut pas dire qu'ils ne considèrent pas qu'il n'y ait pas de problème par rapport à la présence musulmane en Suisse. Sur des sujets comme le voile ou la burqa, les lignes de front pourraient changer.
TF1 News : Au final, ce référendum peut-il se transformer en un "pour ou contre" l'islam ?
M.G. : L'hypothèse est plausible. Les débats auxquels j'ai participé ou assisté ont plus porté sur la question de l'islam en général que sur celle des minarets. En ce sens, il est probable que l'enjeu du vote sera plus interprété comme celui sur la place de l'islam que celui sur la place des minarets. Les opposants au texte vont ainsi se prononcer par rapport à la liberté de religion, en faisant remarquer que les musulmans sont plutôt bien intégrés dans le pays et qu'aucune association n'a demandé d'appliquer la charia. Les partisans de l'initiative vont, eux, voter en pensant à l'islam, pas aux minarets.
"La crispation identitaire plus forte que les finances"
TF1 News : Les éventuelles représailles économiques joueront-elles dans le choix des indécis ?
M.G. : C'est l'un des arguments surtout avancés par les partis dits "bourgeois", à savoir ceux du centre-droit. Si la Suisse vote "oui", elle sera en effet le premier pays au monde à interdire la construction de minarets. Les pays musulmans pourraient ensuite la boycotter, voire la stigmatiser. Généralement, ces arguments économiques réussissent à mobiliser chez nous. Mais, paradoxalement, ils sont aussi repris par les partisans du texte. L'UDC fait ainsi remarquer que si les minarets sont acceptés par peur des représailles, cela prouve que l'islam nous impose sa puissance et qu'il faut donc y mettre un frein. Cependant, dans ce cas précis, il semble que la crispation identitaire soit plus forte que l'argument financier.
TF1 News : Comment les musulmans appréhendent-ils cette proposition ?
M.G. : Difficile à dire. 85% des musulmans (ndlr : sur une population estimée à environ 400 000, soit 5%) sont étrangers. Seulement 15% ont la nationalité suisse. Sans surprise, les leaders associatifs se sont prononcés contre le texte, mais de manière modérée, en mettant en avant le risque d'amalgame. La population musulmane elle-même, très hétérogène, n'a pas beaucoup participé aux débats. D'ailleurs, l'une de mes recherches en cours montre que les musulmans se sentent bien intégrés. Ceci peut expliquer leur incompréhension face à l'initiative. Ils sentent donc qu'il s'agit surtout d'un prétexte pour discuter des modalités de leur présence en Suisse.
Commentaires
Lire TF1 est vraiment un régal : « opération électoraliste, fond de populisme, aspect sociétal, thématise, altérité, questionnement, etc…… » : tous les mots et expressions consacrés du bourrage de crâne y sont ! Il manque juste le mot « ensemble » et tout y était !