Depuis quelques mois, Ludmilla se rend au tabac, la peur au ventre. Fin 2009, alors qu’elle aide sa mère, des braqueurs font irruption dans le magasin, menacent Ludmilla en lui mettant un revolver sur la tempe et repartent avec la caisse. Ils sont rapidement interpellés par la police et écroués. L’incident a choqué les autres commerçants du quartier. Inquiets, ils avaient conseillé à Annick d’installer des caméras de surveillance dans sa boutique. Elle ne le fera pas. Ludmilla, elle, reste traumatisée par le braquage. Et même si les malfrats sont toujours derrière les barreaux, elle ne se sent plus en sécurité. Elle confie ses craintes à ses amies. Bizarrement, depuis le vol à main armée, elle reçoit des appels masqués. Au bout du fil, l’interlocuteur reste silencieux. Ces mystérieux coups de téléphone n’ont peut-être rien à voir avec le hold-up, Ludmilla se croit malgré tout menacée. Annick, sa mère, en a conscience. Elle-même n’est pas tranquille de laisser sa fille travailler seule. Cette femme aimable et discrète a déjà perdu son fils aîné, il y a dix ans. Il s’est suicidé alors qu’il n’avait que 16 ans. Les cadets, Ludmilla et Gaël, grandissent dans l’ombre de ce frère disparu. Leur père, Josef, un Autrichien, est souvent absent de la maison. Il voyage régulièrement en Afrique pour son travail.C’est Annick qui s’occupe des enfants et veille à leur bien-être.
Alors, mardi 10 août, parce qu’elle sent que la reprise est difficile pour Ludmilla, elle l’accompagne au tabac. Ensemble, elles ouvrent la boutique à 7 h 30. Annick reste une heure et demie avec sa fille et quitte le magasin vers 9 heures, avec une partie de la caisse. Au cas où… Avec les vacances, les clients ne sont pas très nombreux. Depuis l’ouverture, une quarantaine de personnes seulement sont entrées acheter la presse ou des cigarettes. Pour tuer le temps, Ludmilla écrit des SMS à son amie Julie. Elles avaient prévu de venir travailler toutes les deux ce jour-là. De temps en temps, Julie donne un coup de main au tabac. Mais comme elle venait de se faire une entorse, Ludmilla a préféré qu’elle se repose. Elle lui envoie son dernier message à 9 h 26: «Je m’ennuie.»
Une dizaine de minutes plus tard, un habitué rentre dans le magasin. Comme chaque matin, cet instituteur à la retraite vient chercher son journal. Personne à la caisse. Sur le comptoir, quatre paquets de cigarettes et un ticket de loto laissés en plan. L’homme attend quelques instants. Intrigué, il se dirige vers l’arrière-boutique et ouvre la porte. Et c’est là, dans ce minuscule cagibi, qu’il découvre le corps de Ludmilla, gisant dans une mare de sang. Un ruban adhésif, provenant d’un rouleau d’étiquettes commerciales, a été posé sur la bouche de la victime. Le client se précipite à la pharmacie qui se trouve juste à côté. Aussitôt, la pharmacienne appelle le médecin. Mais il est déjà trop tard. Ludmilla a reçu huit coups de lame dont cinq pénétrants au niveau du thorax. Des coups de couteau ou de tournevis. Une lame assez longue en tout cas. Les premiers coups ont été mortels. Ils ont touché le cœur et les poumons. Aucune trace de lutte. Apparemment, Ludmilla n’aurait pas eu le temps de se défendre. Pas de désordre non plus, ni de traces de sang en dehors du cagibi. Mais la caisse est vide.
Ludmilla était une fille sans histoires
D’après les premières investigations, entre 100 et 130 euros auraient été dérobés. Une somme dérisoire. Dans le voisinage, la stupeur le dispute à la colère. Sous le choc, beaucoup d’habitants n’osent plus sortir de chez eux. Surtout, ils ne comprennent pas ce qui a pu pousser quelqu’un à commettre un crime aussi barbare. Ludmilla était une fille sans histoires, gentille et serviable. Qui pouvait lui vouloir du mal? Le mystère reste entier et beaucoup d’éléments rendent cette affaire particulièrement trouble. A commencer par l’heure du drame. A tout moment, des clients pouvaient arriver. Le tueur a pris des risques considérables. Autre zone d’ombre, l’adhésif collé sur la bouche de Ludmilla. Un nom aurait été inscrit dessus, mais les enquêteurs n’ont pas encore réussi à le déchiffrer. Et puis, il y a l’acharnement du meurtrier. Totalement incompréhensible.
Cela pourrait ressembler à l’œuvre d’un déséquilibré. L’hôpital psychiatrique La Colombière ne se trouve pas très loin du tabac de la rue des Tilleuls. Mais aucun malade ne s’est enfui de cet établissement le jour du meurtre. Ou peut-être s’agit-il d’un proche de la jeune fille. Ludmilla menait une vie assez secrète. Au lycée Léonard de Vinci où elle avait passé son CAP, elle ne fréquentait pas grand monde. Elle vivait un peu dans sa bulle, souvent enfermée dans sa chambre recouverte de posters de mangas et de décorations japonisantes. Ses amies proches, Julie, Virginie, mais aussi Elodie, elle les avait rencontrées sur Internet. Les jeunes filles avaient commencé à échanger sur leur amour commun pour le Japon avant de se lier d’amitié. Personne ne connaissait d’ennemis à Ludmilla.
Reste l’hypothèse d’un vol à main armée qui aurait mal tourné. Mais encore une fois, l’heure est tout à fait inhabituelle pour un braquage. Toutes ces pistes sont étudiées par la police. Seule certitude, ce n’est pas un geste gratuit. Pour Julie, l’amie de Ludmilla, il pourrait aussi s’agir d’un acte de vengeance commis par des complices des malfaiteurs emprisonnés pour le braquage de 2009.
Effondrée, Annick, sa maman, reste enfermée chez elle avec son mari et des parents venus du nord de la France. Les rares fois où elle est sortie depuis la tragédie, elle n’a eu qu’une phrase: «Ça aurait dû être moi.»
Paris-Match - 18/08/10