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Mystique et politique

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Dans Notre jeunesse, Péguy écrit : « Tout commence en mystique et finit en politique ». Il précise : « Tout parti vit de sa mystique et meurt de sa politique ». La politique, nous savons ce qu’elle est, nous la mépriserions davantage si nous ne savions que les politiciens eux-mêmes sont les premiers à le faire. Et, pour paraphraser l’auteur avec lequel nous avons commencé cette réflexion, et qui préféra mourir pour la République, plutôt que d’en vivre, lorsqu’on fait de la politique, on commence par la tribune, on poursuit par des commissions, et tout cela se termine dans les couloirs.

Les mystiques ont toujours gêné. L’Eglise les a prudemment remisés dans le grenier, là où l’on entrepose les reliques de grand-père, quitte à les ressortir à l’occasion, mais rarement ; et quand, par aventure divine (l’esprit souvent souffle quand il le veut, où il veut, sur qui il veut) on se mettrait à entretenir des relations extravagantes avec le bon Dieu, on essaie de canaliser le débordement par les ornières bureaucratiques, ou bien on tente de camoufler le scandale. Les miracles doivent passer maints conseils de réforme pour être, très rarement, déclarés aptes. L’époque est à la gestion rationnelle du pathos et, si possible, des rêves. La société occidentale ne se voudrait plus que comme un salon où l’on cause, si possible le baragouin kantien, en évitant de reluquer les faces désaccordées qui se pressent aux vitres de l’Histoire. Des mouvements aussi hystériques que les évangélistes américains, ou les sectes new age, ces décervelés de la modernité, démontrent que la démesure menace les tenants d’une politique réglée comme une dissertation cartésienne.

Pour Péguy, la mystique était un singulier alliage entre la Religion catholique et l’Histoire, entre la grâce et l’épopée, entre l’humilité du don et la générosité de l’orgueil. Lui qui n’avait pas fait baptiser ses enfants, qui n’allait jamais à la messe, s’était épris tout à la fois du vieux Corneille (el viejo sonne mieux !), de Victor-Marie Hugo, comte et pair de France, illustre exilé, et de cette folle géniale, la jeune adolescente Jeanne, ci-devant guerrière devant l’Eternel, et de ses bras de pucelle, libératrice du royaume de France.

Quel chemin de croix que celui de Jeanne ! Et quel roman ! La mort ne fut pas pire que l’incrédulité et la défiance. Le mépris en était le prix à payer, ainsi que la trahison et l’abandon. Mais qui ne dirait que la Nation fût, un moment de son destin, proche de cette éternité fugitive qu’est la gloire, y compris même dans l’abjection du bûcher ? Les flammes qui s’y élevèrent étaient le halo lumineux qui embrasait la gesta dei, qui fit de Jeanne une sainte.

Gesta dei : vieille démangeaison française. Même les troupes napoléoniennes portaient dans la mitraille et le panache l’idée de croisade, qui n’est pas séparable de l’amère victoire qu’est la bataille irrémédiablement perdue, et regardée loyalement, comme le destin tragique par le héros antique. La grandeur de la France tient, dans la mémoire des peuples, à cette furia parfois grandiloquente, lavée seulement par le fiel amer du sacrifice librement consenti.

Nous ne fûmes pas toujours grands, loin de là ! Nous ne le sommes pas maintenant. Nous fûmes parfois vils, lâches, traîtres. Nous fûmes aussi normaux, désespérément normaux. Alors, dans tous ces cas, nous ne fûmes pas nous-mêmes.

Péguy dit aussi : « La politique se moque de la mystique, mais c’est encore la mystique qui nourrit la politique même ».

Comment dire autrement que la sagesse politicienne, la prudence sénile, le calcul de boutiquier, la rhétorique de prud’homme, l’utilitarisme tactique n’ont rien à voir avec la mystique, c’est-à-dire avec ce qui gît au fond du cœur et des reins ? On a peur du lyrisme, le temps est aux magouilles. On cultive le terre-à-terre, l'ignorance méthodique pour séduire les masses. Surtout ne pas effaroucher Margot ! C’est toujours un mauvais calcul que d’encourager la médiocrité en croyant y trouver un petit bénéfice. Si l’on ne parie pas, on ne gagne pas le Ciel. Et on perd tout à coup sûr, car la tactique tue toujours l’esprit. La mort n’est rien à côté de la petitesse. Une vie est une goutte. Libre à elle d’être traversée par la lumière. Il est des discours aussi paralysants que des douches pour aliénés. S’il reste encore quelque chose de la France éternelle, une petite louche de ce breuvage des dieux qui rafraîchissait le gosier de nos ancêtres, offrons-le sans barguigner. Qu’importe Tartempion, Théodule ou Mistigri !
C’est un grand malheur que les noms glorieux de notre histoire ne fassent plus frémir les cœurs français, y compris chez certains d’entre nous, qui sommes pourtant gardiens du foyer. C’est une grande erreur de croire qu’ils ne puissent plus battre sur cet air-là.
Claude Bourrinet
 
 
 
VOXNR - 28/11/10

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