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Sous le titre Les éditocrates, l’universitaire Mona Chollet et les journalistes Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle et Mathias Reymond démontent de réjouissante façon le système dont les rouages les plus efficaces — et les plus omniprésents — sont Alain Duhamel, l’inamovible « cardinal des éditocrates », Bernard-Henri Lévy, Christophe Barbier, Jacques Attali, Alexandre Adler, Laurent Joffrin, Philippe Val et quelques autres, qui « se sont érigés en crème de l’aristocratie médiatique, en élite au sein de l’élite ».
Soumission absolue à l’air du temps
Une « élite soigneusement cadenassée » où l’on « n’entre que par cooptation, après avoir montré patte blanche. Car « on ne naît pas éditocrate. On le devient à force d’application, au prix de l’abandon de toute velléité de penser par soi-même et d’une soumission absolue à l’air du temps ».
Ecrivant dans les mêmes journaux, sévissant dans les mêmes média, publiés chez les mêmes éditeurs où, d’ailleurs, ils dirigent souvent une collection, ces nouveaux brahmanes ne se contentent pas de répercuter indéfiniment la doxa de la saison. Chacun d’eux dit aussi tout le bien qu’il pense des compères, et comment en irait-il autrement quand le « centriste » Alain Duhamel, chroniqueur à Libération, doit commenter les livres d’un Laurent Joffrin, directeur de ce quotidien anarcho-bancaire (1) ? A l’inverse, il ferait beau voir que Christophe Barbier, directeur de L’Express, descendît en flammes le dernier opus de Jacques Attali, fleuron de cet hebdomadaire.
De BHL en Attali, l’imposture ex cathedra
Certes, on n’avait pas attendu Mathias Reymond pour savoir à quoi s’en tenir sur Attali (photo), « l’insubmersible imposteur » confondant allégrement le Palais d’été de Pékin et le Palais d’hiver de Saint-Petersbourg (ce qui ne l’a pas empêché d’être invité sur France Inter « au moins vingt fois durant deux années, 2007 et 2008 » et « plus de quarante fois sur France 2 et France 3 entre janvier 2005 et fin décembre 2007 ») ni Sébastien Fontenelle pour dénoncer les approximations, les erreurs, l’insoutenable légèreté de « Bernard-Henri Lévy ou la vérité à distance ». Une vérité aussi sélective que fluctuante, déjà bien assaisonnée par Polémia (2).
Mais il faut savoir prendre son miel où il est et les charges sont féroces. Particulièrement sur BHL (photo) qui détecte partout le « virus du néo-antisémitisme » et qui, s’érigeant sans cesse en Clausewitz pour appeler à la destruction de la Serbie, de l’Irak ou de l’Iran soupçonnées d’agresser des populations civiles (où la fureur de l’ex-nouveau philosophe devant la réticence de Téhéran à faire exécuter l’icône Sakineh, accusée d’adultère et surtout de complicité dans l’assassinat d’un mari gênant), ne se considère plus que comme un pékin ignorant quand il s’agit de gloser sur les exploits de Tsahal : « N’étant pas un expert militaire, je m’abstiendrai de juger si les bombardements israéliens sur Gaza auraient pu être mieux ciblés, moins intenses », écrivait-il ainsi dans Le Point le 9 janvier 2009 à propos de la meurtrière opération « Plomb fondu » que, dans L’Express du 15 janvier 2009, l’ancien normalien Barbier pour sa part saluait en ces termes : « Israël a raison de mener cette guerre (…) Il le fait aussi pour notre tranquillité, ce qui est honteux de ne pas reconnaître . »
Dans le même registre, il est bon de rappeler, comme le fait S. Fontenelle, que, pour l’ancien stalinien Alexandre Adler, George W. Bush était d’une « absolue bonne foi » quand il légitimait l’invasion de l’Irak par la possession par ce pays d’armes de destruction massive, énorme forgerie condamnée d’emblée sur la Toile, puis fièrement revendiquée dans le magazine Vanity Fair de mai 2003 par Norman Wolfovitz, numéro deux du Pentagone. Mais après tout, qui veut la fin justifie les moyens.
Pour Val, Internet est une « Kommandantur libérale » !
Ce qui est aussi le credo de Philippe Val (photo), journaliste insignifiant mais arriviste frénétique, passé de la direction de Charlie-Hebdo, torchon champion de la « surenchère scatologique et dépolitisée » à celle de France Inter, par la grâce de M. et surtout de Mme Carla Sarkozy, copine de longue date. Egalement, selon ses dires, « ami de Bernard-Henri » (Lévy) qui « a toujours été du bon côté », Val en partage l’admiration pour Israël, « authentique démocratie », et l’obsession des « heures les plus sombres ». Il compare donc les écrits d’une journaliste de Télérama aux Protocols des Sages de Sion, taxe de nazisme tous ceux qui ne pensent pas comme lui (ou n’ont qu’une considération mitigée pour son auguste personne) et affirme tout de go (dans son livre Reviens, Voltaire…) que le site bakchich.info « actualise et adapte sur Internet les méthodes glorieuses de Je suis partout ». D’ailleurs, pour Val, dont on admirera le sens des nuances, Internet n’est qu’une « Kommandantur libérale » : si la Toile avait existé en 1942, « les résistants auraient tous été exterminés en six mois, et on pourrait multiplier par trois les victimes des camps de concentration et d’extermination », théorisait-il dans un édito du 17 janvier 2001.
Une maladie contagieuse
Soulignant ces « références incessantes à la Seconde Guerre mondiale », Mona Chollet, auteur du portrait de Val, estime que « l’épisode pourrait servir d’emblème à la façon dont la petites clique de maîtres à penser à laquelle il [Val] se flatte désormais d’appartenir foule aux pieds les enseignements de l’histoire, et les détourne, pour les mettre au service à la fois de ses privilèges et d’un verrouillage de l’ordre du monde », tout entier soumis au souverain Marché, grand ennemi du quatuor pourfendeur des éditocrates, auquel est beaucoup reproché, du reste à juste titre, le fait de « s’être coulé dans le moule d’une complète adhésion aux dogmes de l’époque ».
Mais la même critique ne pourrait-elle être adressée aux auteurs eux-mêmes et notamment à S. Fontenelle, auteur du portrait d’Yvan Rioufol, bloc-notiste du Figaro coupable d’avoir participé à… des émissions de Radio-Courtoisie ? Et, plus grave encore, d’avoir regretté l’interdiction de fumer ou d’exprimer son « opinion sur les groupes ethniques, sur la Seconde Guerre mondiale et sur beaucoup d’autres choses ». « Discuter de la Shoah » ? s’étouffe le censeur. « En quoi, exactement, pourrait-on « discuter » de cette abomination ? Où serait l’incertitude prétexte à un (quelconque) débat sur ce qu’elle fut ? »
Apogée de la bien-pensance, l’éditocratisme est décidément une maladie bien contagieuse puisque même ceux qui le dénoncent le plus fort en sont atteints…
Claude Lorne
M. Chollet, O. Cyran, S. Fontenelle et M. Reymond : Les Editocrates : Ou comment parler de (presque) tout en racontant (vraiment) n’importe quoi, La Découverte/Pocket, octobre 2009, 196 pages, 12,50 euros.
NOVOPRESS - 07/02/11
Commentaires
Comme l’explique bien Claude Lorne, même ceux qui dénoncent les porte-drapeaux de la pensée unique en sont victimes ; une seule solution : sortir de la pensée unique, en appelant un chat, un chat. Tant qu’on n’ose pas le faire, tout discours est vain !