EL DESDICHADO
Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,
Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.
Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...
Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.
Commentaires
@Gaelle
De Nerval était sataniste, souhaitant le retour des dieux de l'antiquité ( qui ne sont que des démons, comme le précisaient les Pères de l'Eglise).
Des auteurs l'ont étudié et démasqué.
Merci, chère Gaëlle pour ce très beau poème !
Cher abad, ce poème délivre un charme mystérieux, qu'il serait vain de vouloir expliquer, car le propre du charme est d'être, je crois, inexplicable.
Il existe cependant de nombreuses exégèses de ce poème, qui est selon moi un des joyaux de la langue française.
Je suis heureuse que vous l'aimiez.
Amitiés!
@ turigol: les dieux de l'Antiquité n'étaient pas des démons! Ne venez pas faire de l'inquisition sur mon blog, lorsque je publie un poème de Gérard de Nerval, je vous en prie.
Vous voyez des satanistes chez les meilleurs auteurs européens!
Et la liberté d'expression? Nous ne sommes pas en France au pays des ayatollahs!
Il faudrait alors interdire Hugo (la fin de Satan), Baudelaire, et Verlaine aussi pour ses poèmes chantant l'homosexualité... et tant d'autres auteurs, écrivains, et compositeurs comme Wagner!
La poésie est l'un des derniers refuges de la pensée dite "païenne". Plus que toute autre expression artistique, elle sait traduire le "sacré" et le "divin", ces mots dévoyés par les monothéismes, quasiment impossibles à définir parce qu'ils nous dépassent ("Dieu" s'il existe n'a rien à voir avec ces mots). C'est le "charme inexplicable" dont parle Gaëlle.
Nerval disait lui même de ses "Chimères" qu'elles "perdraient de leur charme à être expliquées si la chose était possible".
Lorsqu'il accole à la fin "Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée", il témoigne d'une magnifique survivance du paganisme dans le folklore.
C'est sans doute aussi l'une des raisons pour laquelle Nerval
est certainement l'un de nos plus grands poètes.
Merci Gaëlle de le faire revivre !
Et pour l'accompagner un petit air de luth..
http://www.youtube.com/watch?v=YbuU1w9jsmE&feature=related
Merci; Nelly! J'aime cette musique ravissante!
Merci, dirk, pour ce beau commentaire plein d'intelligence de la véritable poésie!
@gaelle :
Je n'ai jamais bien compris Nerval. Mais cet illustre poème possède une étonnante force d'attraction. A t-on imaginé qu'il les abordait et est ce bien ce qu'il voulait dire?
Ainsi parlent les miroirs.
@Nelly :
Ivanhoé?!
Merci.
Douloureux et magique poème que ce "Déshérité"!
Comme si le souvenir d'une aimée,Sainte et Fée, Reine et Sirène hantait des rêves que Nerval transpose en notes, couleurs et mots.
Un des plus beaux poèmes de la littérature!
(La vie de Gérard de Nerval est bouleversante et passionnante)
J'aime aussi "Myrtho":
"Je pense à toi,Myrtho,divine enchanteresse,
Au Pausilippe altier,de mille feux brillant,
A ton front inondé des clartés de l'Orient,
Aux raisins noirs mêlés avec l'or de ta tresse.
[...]"
Chère tania, je vois que nous partageons les mêmes goûts!
Merci pour votre excellent commentaire, qui évoque si bien le grand poète qu'est Gérard de Nerval, qui sublimait ses tourments intérieurs dans de magnifiques et secrets poèmes.
Je pensais justement mettre "Myrtho" sur le blog.
Amitiés!