Entretien réalisé par Nicolas Gauthier
Naguère, les polémiques politiques venaient d’émissions fracassantes à la télévision ou de dépêches de l’AFP. Aujourd’hui, c’est Twitter ; soit le règne de l’immédiateté. Comme si le temps de la réflexion avait tendance à se raccourcir…
Toutes les dimensions constitutives de la temporalité sont aujourd’hui rabattues sur le moment présent. Ce « présentisme » fait partie de la détresse spirituelle de notre époque. Twitter n’en est qu’un exemple parmi d’autres. L’importance qu’on donne aujourd’hui aux tweets est une sorte d’assomption métaphysique de la brève de comptoir. Elle mesure une déchéance. C’est la raison pour laquelle je ne « tweete » jamais. Je n’ai pas non plus de compte Facebook. Je n’utilise ni « smartphone », ni « Blackberry », ni tablette tactile, ni iPad, ni iPod, ni aucun autre gadget pour petits-bourgeois numérisés et connectés. D’ailleurs, je me refuse même à avoir un téléphone portable ; car l’idée de pouvoir être joint en permanence m’est insupportable. La disponibilité totale relève d’un idéal de « transparence » totalitaire. Il faut lui opposer des opacités bienfaisantes.
Vous êtes technophobe ?
Je ne suis pas technophobe, mais je suis profondément préoccupé par ce technomorphisme qui transforme nos contemporains en prolongement de leur télécommande ou en terminal de leur ordinateur. Je crois que la technique n’a rien de neutre, et qu’elle cherche à nous soumettre à sa logique propre. De même que ce n’est pas nous qui regardons la télévision, mais la télévision qui nous regarde, ce n’est pas nous qui faisons usage de la technique, mais la technique qui se sert de nous. On le réalisera mieux encore quand nous aurons des codes-barres et des puces RFID insérés sous la peau – ou lorsqu’on aura réalisé la fusion de l’électronique et du vivant. On ne peut, dans le monde actuel, faire l’économie d’une réflexion sur la technique, dont la loi première est que tout ce qui devient techniquement possible sera effectivement réalisé. Comme l’écrit Heidegger, « Nous pouvons utiliser les choses techniques, nous en servir normalement, mais en même temps nous en libérer, de sorte qu’à tout moment nous conservions nos distances à leur égard. Nous pouvons dire “oui” à l’emploi inévitable des objets techniques et nous pouvons en même temps lui dire “non”, en ce sens que nous les empêchions de nous accaparer et ainsi de fausser, brouiller et finalement vider notre être. » Dans le rapport à la technique, c’est l’humanité de l’homme qui est en jeu.
On peut certes gloser sur ce « bougisme » que nous impose Internet. Mais au moins a-t-il l’avantage de permettre aux citoyens de base que nous sommes de prendre part au débat. Vous qui n’aviez rien contre la « démocratie participative » prônée par Ségolène Royal lors de l’élection présidentielle de 2007, quelles éventuelles réflexions ce changement de donne peut-il vous inspirer ?
Comme toute forme de démocratie, la démocratie participative exige un espace public où puisse s’exercer la citoyenneté, c’est-à-dire d’un espace radicalement distinct de l’espace privé où se meut la « société civile ». Internet fournit des sources d’information alternatives, mais il est avant tout un outil de surveillance totale. Rapporté aux exigences démocratiques, il n’est qu’un simulacre. Jean Baudrillard l’avait déjà dit il y a vingt ans : nous vivons au temps des simulacres. Les touristes qui visitent la grotte de Lascaux n’en visitent aujourd’hui qu’une copie. En ce moment, un théâtre parisien propose un opéra « virtuel » où la cantatrice vedette n’est qu’une image de synthèse, un hologramme. Les imprimantes en trois dimensions peuvent désormais produire des répliques d’œuvres d’art qui ne se distinguent plus de l’original, relief compris. Elles produiront demain des organes humains. Walter Benjamin avait écrit en 1935 un beau texte méditatif sur « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». Nous n’en sommes déjà plus là, car la réplique va très au-delà de la copie. Elle abolit même la notion de copie. Le virtuel est cette catégorie immatérielle dans laquelle nous fait vivre le monde des écrans. Il ne relève ni du réel, ni de l’irréel, ni même du surréel. Il relève de cet hyperréel qui prend peu à peu la place de la réalité sans que nous nous en rendions compte. À terme, c’est l’univers de Matrix qui se dessine à l’horizon.
Dans votre revue Eléments, dont vous fêtez cette année le quarantième anniversaire, vous évoquez souvent la perte du lien social. Si on vous objecte que les « réseaux sociaux » peuvent être une façon de le retisser, cela vous fait-il sauter au plafond ?
Cela me fait plutôt sourire. Ces « réseaux sociaux » n’ont de « sociaux » que le nom. Ils ne proposent eux aussi qu’un simulacre de socialité. Avec Facebook, on noue des liens avec des « amis » qu’on ne verra jamais, on visite des pays où l’on ne mettra jamais les pieds. On bavarde, on se défoule, on se raconte, on inonde la terre entière de propos insignifiants, c’est-à-dire qu’on met la technique au service du narcissisme immature. La dé-liaison sociale est le fruit de la solitude, de l’anonymat de masse, de la disparition des rapports sociaux organiques. Elle résulte du fait que l’on se rencontre de moins en moins. La socialité véritable exige l’expérience directe que le monde des écrans tend à abolir. La seule utilité de Facebook est de mettre à la disposition de la police plus d’informations sur nous-mêmes qu’aucun régime totalitaire ne pouvait hier espérer en rassembler. Libre aux naïfs de contribuer eux-mêmes à renforcer les procédures de contrôle dont il leur arrive par ailleurs de se plaindre !
BOULEVARD VOLTAIRE
Commentaires
je trouve ça ringard mais ringard ce genre de propos. On dirait du Finkelkraut.
D'abord AdB semble ne pas avoir vu l'extraordinaire chance qu'aura constitué pour NOUS la technologie internet. Faudrait-il revenir aux années 80 quand la seule voix audible était celle du pouvoir. Singulier aveuglement !
Ensuite il faut - quand on prétend penser le réel - il faut prendre acte du changement de paradigme. Même si on doit sortir de la modernité on n'en sortira que depuis le dedans (on ne sort que de dedans).
Qui ne voit qu'un truc comme wikipedia - aussi nul en soit le contenu - l'avénement d'un truc comme wikpédia, d'un savoir universellement communicable, planétaire, total (et totalitaire ?) sans auteur, un truc comme wikpédia est aussi importante que l'était en son temps l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert ?
Cette malédiction de droite : toujours rejouer les émigrants de 1789. Ultra monarchistes quand la monarchie n'est plus, ultra catholiques quand Dieu est mort. Accuser Dreyfus quand il est devenu évident qu'il est innocent. Les penseurs "de droite" seront-ils toujours des vieux shnocks hors du coup ?
@ Dia: votre dernier paragraphe est très discutable, et vous vous contredisez à propos de Wikipédia...
J'ai toujours éprouvé pour cet individu une méfiance viscérale.
Propos dégoulinant de snobisme et peur, soi-disant peur, dans la plus pure tradition gauchiasse, d'être "surveillé ".
Cet individu s'écoute parler, comme tout gauchiasse.
Il n'est pas de droite, tout homme de droite le ressent instinctivement.
chère Gaëlle
Concernant Wikipédia, je reprennais le propos de Jean Vioulac dans son excellent "la logique totalitaire - Essai sur la crise de l'occident" tout juste paru au PUF. Ce que je voulais dire c'est que pour nous autre réactionnaires la critique de la modernité c'est d'emblée acquis, c'est le début, l'origine. Pas un résultat.
Après il reste à penser non pas une crise de la modernité (sauver l'école, la république, l'identité de la France ou je ne sais quoi de déjà mort comme le veut finkelkraut), il faut penser la modernité COMME crise, le capitalisme n'a pas d'excès qu'il faudrait prévenir. Il EST crise. Il reste à penser - s'il on est penseur - Mosanto, la NSA comme l'essence de la technicisation.
On peut toujours individuellement refuser ceci ou cela. Refuser le train comme Bloy, refuser le téléphone cellulaire, etc. mais - comme penseur - il faut penser ce mouvement qui importe le monde actuel un peu plus loin que comme le résultat de choix individuels dont certains seraient légitimes et d'autres pas. Si après 60 ans de vie intellectuelle de droite - devant la planète dévastée - l'on n'arrive qu'à cela : "vos amis Facebook sont de faux amis" clairment on a perdu son temps.
Je prends la defense de Wikipedia qui se trompe tres rarement. Il n'y a rien de mieux pour avoir une reponse rapide.. Et si vous voulez corriger une erreur, c'est possible.
Alain de Benoist a tout a fait raison; malheureusement on se sent entraines malgre soi,dans une certaine mesure..
je crois que Dia nous prend pour des schmocks!
@ anonyme: il me semble que s'il n'est pas de droite (ou de "nouvelle droite") selon vous, il ne soit pas non plus de gauche...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Alain_de_Benoist
Il faut être bien léger pour qualifier AdB comme il l'est dans les commentaires : "ringard", "gauchiasse", etc.... même les gauchistes les plus obtus n'utilisent pas ces mots à son encontre ! Pas le moindre argument, et la "rhétorique" de ceux qui ne l'ont jamais lu !
On ne règle pas le compte d'AdB par quelques pitoyables qualificatifs. AdB n'est pas Djamel Debbouze ! On a le droit de le détester, mais il faut argumenter ! Et il faut de l'envergure pour le faire…et commencer par connaître l'oeuvre considérable qu'il a derrière lui depuis 40 ans malgré une censure féroce des médias.
La plupart des gens de "droite" aujourd'hui utilisent sans s'en rendre compte des concepts et des analyses qu'AdB et son école de pensée ont développés dans leurs publications : Eléments, Nouvelle Ecole, Krisis, Cartouches, Etudes et Recherches, Panorama des idées actuelles, la riche collection Copernic, etc…sans compter les bouquins d'AdB, Guillaume Faye, Pierre Vial, et toute une mouvance parallèle : Terre et Peuple, Polémia, Club de l'Horloge, etc...
Qu'il soit snob et "parisien", c'est vrai, mais secondaire.
Je comprends mieux le mépris serein qu'il a l'air d'afficher parfois !
Dirk: ce qui me semble important, c'est qu' Alain de Benoist dénonce vivement les simulacres et les leurres qui forment la toile de fond de notre société déliquescente, en voie de décomposition ou plutôt de "cloaquisation", cloaques puants, pestilentiels qui font le bonheur des rats claudiquants porteurs de peste!
Moi-même, j'ai publié quatre romans, de 1988 à 2001, sous le titre générale de "Leurres". C'est dire combien le billet d'AdB m'a réjouie et confortée. Le dernier paru, réédité en 2008, "Entre les fleuves", a obtenu une excellente critique dans Eléments sous la plume de Michel Marmin. Sans que je sois abonnée à cette revue.
Qu'un écrivain soit qualifié de "snob" ou de "parisien" où est le mal? C'est sans importance, vraiment, sinon pour les ringards de province ou les jaloux. Ce qui compte avant tout, c'est l'intelligence du monde ! Et AdB n'en manque pas!
chère Gaëlle
Concernant Wikipédia, je reprennais le propos de Jean Vioulac dans son excellent "la logique totalitaire - Essai sur la crise de l'occident" tout juste paru au PUF.
Sans surprise aussi : "je trouve ringard CE PROPOS" devient dans l'esprit d'un lecteur illetré "qualifier AdB de ringard".
Ce que je voulais dire c'est que pour nous autre réactionnaires la critique de la modernité c'est d'emblée acquis, c'est le début, l'origine. Pas un résultat.
Après il reste à penser non pas une crise de la modernité (sauver l'école, la république, l'identité de la France ou je ne sais quoi de déjà mort comme le veut finkelkraut), il faut penser la modernité COMME crise, le capitalisme n'a pas d'excès qu'il faudrait prévenir. Il EST crise. Il reste à penser - s'il on est penseur - Mosanto, l'espionnage de la NSA comme l'essence de la technicisation.
Alors certes on peut bien individuellement refuser ceci ou cela. Refuser la voiture comme Bloy, préférer la messe en latin ou pas de messe du tout, refuser le téléphone cellulaire, etc. Refuser parfois c'est à dire passer un compromis avec ce qu'on accepte. Mais - comme penseur - il faut penser ce mouvement qui importe le monde actuel un peu plus loin que comme le résultat de choix individuels dont certains seraient légitimes et d'autres pas.
Si après 60 ans de vie intellectuelle de droite - devant la planète dévastée - l'on n'arrive qu'à cela : "vos amis Facebook sont de faux amis" clairment on a perdu son temps.
@Gaëlle
Dénoncer les leurres et les impostures est classique chez AdB qui s'est formé au contact de Nietzsche. J'ai une armoire pleine des productions de la ND, notamment la collection complète d'Eléments et de cette revue de qualité exceptionnelle qu'est Nouvelle Ecole, dont je ne connais aucun équivalent dans une autre école de pensée.
J'ai retrouvé facilement l'article particulièrement élogieux sur votre ouvrage "Entre les fleuves" (Eléments N°130), et je vous en félicite. Michel Marmin n'est pas le premier venu !
J'ai également été cité dans Eléments (N°127 de la même année) pour mon engagement identitaire flamand et dans d'autres numéros pour un ouvrage sur les vieux prénoms des peuples fondateurs de la Flandre (Saxons, Frisons, Francs, etc.), prénoms qui connaissent un regain de popularité dans les cercles régionalistes et identitaires.
…les prénoms : encore une des innombrables spécialités de ce Pic de la Mirandole moderne qu'est AdB !
Monsieur ADB ignore que si l'on ne veut pas être dérangé par son téléphone portable, il suffit de l'éteindre ou de le mettre en mode renvoi d'appel.
Dénigrer Internet alors que c'est le seul medium possible pour les opposants au système, c'est ahurissant.
N'étant pas écrivain ou penseur, je n'éprouve aucune jalousie, j'exprime seulement mon ressenti instinctif vis à vis de cet homme. Tout semble fabriqué dans sa pensée, très marxiste .
Dirk: j'ai le livre d'AdB sur les prénoms! On y apprend une foule de choses qui me passionne! Je le consulte assez souvent.
Lorsque Adb montre la lune, c'est la lune qu'il faut regarder et non le doigt ! Mais le proverbe chinois est plus cru !
Sans ignorer la qualité de chef de file de AdB et les analyses remarquables lues ici et la grace a internet entre autres, son analyse d internet est par trop simpliste, que ferions-nous sans, nous pauvres dissidents !!!
quant au téléphone cellulaire, il ne sert pas qu a etre joint et combien il rassure les femmes qui sont appelées a voyager sur les routes l hiver, a l étranger etc ... , professionnellement ou autre, il y a eu véritablement un avant et un apres je puis le dire, inestimable.
Je me garderais bien de polémiquer sur la pensée d’AdB qui est d’un niveau philosophique qui me dépasse. Je me contenterai d’un avis très terre à terre sur les points suivants :
- les réseaux dits sociaux n’ont rien de « sociaux » comme le dit si bien AdB ;
- le amis de facebook n’ont rien d’amical ;
Ces deux appellations sont des impostures. Ce sont des strucutres complètement artificiels qui n’apportent rien à leurs utilisateurs en dehors de propager certaines informations.
Il est exact que l’on trouve sur ces sites des informations personnelles qui peuvent être mises à profit par les pandores qui nous gouvernent, informations encore complétées par les GPS, la géolocalisation, les contrôles routiers, etc…. et toutes les déclarations que l’on fait aux banques, aux impôts, à la sécu, etc, etc ;….Toutes ces infomations sont facilement exploitables par les ministères. Les gens n’en sont pas conscients, mais c’est « le meilleur des mondes » qui se met en place !
@ Décée: le fond de son article, un billet d'humeur, c'est "ne soyons pas esclaves des nouvelles technologies". Qu'elles nous servent quand nous en avons besoin, mais ne les servons pas.
Facebook, Twitter et autres réseaux "sociaux" peuvent créer une dépendance, surtout chez les ados, mais ne créent aucune véritable amitié entre communiquants appelés abusivement "amis". Ces réseaux sont en outre très surveillés par Big Brother!
On n'y échange guère d'idées, mais surtout des fautes d'orthographe !
Dirk
Je n'ai lu que quelques articles d'ADB qui m'ont paru convenus, sans profondeur réelle malgré un style assez ampoulé.
Mauvaise impression générale.
Par curiosité je viens de faire quelques recherches ... et miracle je ne suis pas le seul à avoir un sentiment de malaise profond. Des auteurs dits d'extrême-droite assez nombreux ont le même ressenti.
@Gaelle : je crois savoir que les tenants de notre courant de pensée ne participent pas a la sinistre farce des réseaux sociaux, entreprise de flicage et de voyeurisme pour age mental de 10 ans en mal de positionnement social.
@ Décée: vous savez bien!