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Les "fables espagnoles" en Flandre

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Bruges

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Arras

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Dantzig/Gdansk

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L'altier beffroi de Douai et son carillon, construit en... 1380

 

 "Le carillon, c’est l’heure inattendue et folle

Que l’œil croit voir vêtue en danseuse espagnole "

 

Victor Hugo, en admiration devant le beffroi de Douai, voulait trouver une bonne rime à « folle ». Il aurait été très surpris d’apprendre que ces vers innocents seraient à l’origine d’une légende tenace, celle de l’ « influence espagnole » en Flandre, qui sera reprise des milliers de fois par la suite et finira par constituer un dogme populaire. Tous les historiens ont combattu, souvent en vain, ce préjugé hispanisant. Qu’en est-il de cette influence espagnole ?

 

  

A son abdication en 1555, Charles Quint mettait un terme à la fastueuse « période bourguignonne », les ducs de Bourgogne étant aussi comtes de Flandre. Cette période, la plus florissante de l’histoire des Pays-Bas, dont faisait partie la Flandre, était la grande période des peintres flamands et hollandais. Ces ducs et comtes, « riches comme dix rois », amis des arts et lettres, étaient respectueux de l’identité de leurs sujets. Charles le Téméraire avait, comme son père Philippe le Bon et son grand-père Jean Sans Peur  appris le flamand, qui était également la langue maternelle de Charles Quint, petit fils du Téméraire. Né à Gand en 1500,  Charles ne commença à apprendre le castillan qu’à l’âge de 16 ans. « On devrait lui faire fréquenter des Espagnols, car il ne sait pas un mot de castillan » écrit Alonso Maurique en 1516.

 

  

Notre Keizer Karel, également comte de Flandre, était très populaire, une sorte d’Henri IV, simple et bonhomme avec ses Flamands. Il subsiste des rues Charles Quint et des estaminets « Keizer Karel » en Flandre française, et le siècle dernier, les vieilles flamandes de Bergues récitaient encore avec dévotion « Het krachtige gebed van Keizer Karel », « la fervente prière de l’empereur Charles ».

 

Il est donc absurde de faire commencer la « période espagnole » des Pays-Bas avec Charles Quint. Celui qui n’était que Carlos Primero en Espagne ne s’est jamais comporté en souverain espagnol à l’égard de nos provinces. Cette période ne commencera qu’avec le sombre Philippe II, fils de l’empereur, élevé en Castille et qui héritera de nos anciens Pays-Bas, les « Dix Sept provinces », en 1555.

 

Des troubles religieux avaient toujours agité la Flandre contre les abus de l’Eglise. Le mouvement des iconoclastes qui aboutira à la scission des Pays-Bas et à la création de la république des Provinces Unies avait commencé en Flandre française en 1565. Il amènera le fanatique Philippe II à entreprendre une répression féroce contre nos populations qu’il haïssait ouvertement. Le féroce duc d’Albe arriva en Flandre avec ses troupes en 1567, et la guerre fut continue contre la résistance nationale et religieuse à l’Espagne. Ces patriotes reprirent comme un drapeau l’insulte de « gueux » et arrachèrent l’indépendance des 7 provinces du nord en 1607, avec Guillaume d’Orange qui ne put conserver les provinces du sud, dont la Flandre, l’Artois et le Hainaut. Ces dernières devinrent les Pays-Bas Méridionaux catholiques.

 

« Il est infiniment préférable de sauvegarder par les armes un pays appauvri et ruiné, pour Dieu et son roi, que de l’abandonner intact entre les mains du diable et de ses partisans hérétiques » s’était écrié le duc d’Albe. Mission accomplie ! L’héritage de Charles Quint fut disloqué, nos régions furent ravagées, ruinées et démantelées, toute l’élite flamande émigra au nord ou en Angleterre et occasionnera la prospérité de ces pays. Les Pays-Bas du nord ou Provinces Unies connaîtront leur Siècle d’Or

 

Philippe II meurt en 1598 à l’Escurial, la régence sera assurée par l’archiduc Albert et son épouse, l’infante Isabelle, fille de Philippe. C’est la période de la contre-réforme et de ses extravagances baroques.  N’ayant pas eu d’enfants, les PB méridionaux retombèrent dans l’escarcelle espagnole avec Philippe IV qui renforça la gouvernance espagnole dans l’administration et reprit la guerre contre les Provinces Unies, puis avec la France, faisant de notre région le champ de bataille de l’Europe.  Le traité d’Utrecht en 1713 marque la fin de l’occupation espagnole et le passage des Pays-Bas Méridionaux des Habsbourg de Madrid aux Habsbourg de Vienne. Le pays s’appellera dès lors Pays-Bas autrichiens.

 

De 1566 à 1713 (traité d’Utrecht) nos provinces du nord connurent 29 années de paix sur 147.

  

Comment s’est exercée cette « domination espagnole » ?

 

Voici ce qu’en dit le grand historien belge Pirenne :

 

« Le roi d’Espagne règne en Belgique, mais ne la gouverne pas (…) L’Espagne quia régné si longtemps sur la Belgique n’y a rien laissé d’elle (…) son sang ne s’est pas mêlé à celui du peuple, elle n’a exercé aucune action sur l’art, ni sur la littérature ; elle n’a même passé aucun mot de son vocabulaire aux dialectes flamands ou wallons. Les deux nations ont vécu l’une à côté de l’autre sans se pénétrer, ni se comprendre… ».

 

Le souci premier de nos occupants n’était pas d’exercer une quelconque influence culturelle. Tout au plus voulaient-ils maintenir et renforcer l’emprise de Rome et surtout tirer de nos riches contrées le fruit de substantiels impôts et taxes. Les gouverneurs désignés par Madrid se réservaient le commandement militaire, le contrôle du pouvoir civil restant aux autorités locales. Il n’y a jamais eu la moindre colonisation, ce concept étant un anachronisme de plus, ce que tous les historiens sérieux confirment. 

 

  

C’est en architecture essentiellement que le mythe s’est fait indéracinable. L’architecture des pignons à volutes et à redents, dits « à pas de moineau », est née en Flandre vers le XIVème siècle, bien avant les naissances de Charles Quint et Philippe II. On peut en trouver des traces sur les peintures des primitifs flamands de l’époque. Elle sera exportée sur tout le pourtour de la Mer du Nord et de la Baltique. On l’appellera parfois architecture « hanséatique ». Celle-ci est totalement inexistante en Espagne. Cette légende des pignons "espagnols" due à Victor Hugo a causé bien des ravages sur l’image de notre région (cf. les places dites "espagnoles" d’Arras, les maisons dites « espagnoles » de Béthune, Cambrai, Valenciennes, etc !).

 

Si influence méridionale il y eut, dans le domaine des arts notamment, c’est une influence italienne, et a contrario, ce sont les Espagnols de l’époque qui subirent une intense influence des peintres flamands. « On ne peut écrire l’histoire de l’art en Espagne sans consacrer des chapitres entiers aux influences du Nord, mais on peut passer sa vie au contact de l’art des Pays-Bas sans y trouver le plus léger point de contact avec le pays de Philippe II »  J.Lestocquoy

 

  

Toujours pour se conformer au dogme hispanisant, la plupart des Nordistes ayant un nom se terminant par –ez jurent qu’ils sont d’ascendance espagnole. Ces noms sont nombreux dans le Nord, citons en quelques uns parmi les plus répandus : Bouchez, Duprez, Duriez, Fievez, Grimonprez, Mulliez, Potez, Thiriez, Thorez, etc. Tous ces noms sont inexistants en Espagne ! Inversement,  les noms les plus répandus en Espagne : Gomez, Lopez, Sanchez, Gonzalez, Alvarez, Fernandez, Garcia etc., sont introuvables chez nous en dehors de l’immigration espagnole récente.

 

  

Le "z" serait soit une fantaisie graphique (boucle ornementale finale interprétée en -z), soit parfois, la marque d’un génitif d’origine flamande. Les spécialistes sont d’avis partagés sur cette question, mais tous rejettent l’hypothèse « espagnole » ! Précisons que le -ez se prononce « é ».

 

Nota : on retrouve le même phénomène en Savoie avec les noms en –az et –oz (Mermoz, Vuillermoz, etc.), région n’ayant pas connu d’ « occupation » espagnole !

 

Quant aux yeux noirs ou aux cheveux foncés, faisant croire à leurs propriétaires  qu’ils descendent d’un hidalgo, ils ont toujours existé dans toutes les races, y compris nordique.

 

Les troupes dites « espagnoles » étaient comme toutes les armées de l’époque composées essentiellement de mercenaires suisses, lombards, lorrains, irlandais, allemands, wallons et…flamands ! C’était la grande époque des reîtres et des lansquenets.

 

  

L’hispanolâtrie n’a pas épargné non plus les Géants processionnels typiques du nord de la France.  Les plus anciens de la région ont signalés dès le XVe siècle ! « Les géants processionnels de l’Espagne, vu leur date d’émergence historique, sont des transports de la Flandre dans la péninsule ibérique » écrit le grand folkloriste Arnold Van Gennep.

 

  

Enfin, il n’y a pas de mots espagnols dans les langues régionales, bien qu’il puisse y avoir des similitudes entre certains termes picards et espagnols, ce qui est logique, ces deux langues étant issues du latin !

 

  

« Nos origines espagnoles » ? Ce cliché non innocent, érigé en dogme, contribue à brouiller notre véritable identité qui  doit davantage aux rivages nordiques qu’aux rivages méditerranéens !...ce qui n’ôte rien aux grandes qualités du peuple espagnol !

 

Quant à nos  anciens « Pays-Bas François » ?  Ils s’appellent aujourd’hui tristement « Nord Pas de Calais ».

 

   

Dirk De Mulder

 

 

 

 

 

Commentaires

  • Merci Gaëlle d'avoir publié mon plaidoyer sur ces fables espagnoles !
    J'aurais pu ajouter une autre fable parfois entendue, celle du "flamenco".
    Le mot, malgré les apparences, et la danse n'ont
    aucun rapport, ni de près, ni même de loin avec la Flandre. Jamais on n'a dansé sur le rythme des castagnettes sous les cieux de mes ancêtres !
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Flamenco
    Ce mot n'apparaît qu'aux 18e/19e siècle, soit 3 siècles après la fin de la soi-disant "occupation" espagnole de la Flandre.

  • Ne me remerciez pas pour si peu de ma part: le plaisir est pour moi et aussi pour mes lecteurs! J'aime ces contributions intelligentes qui apprennent quelque chose. Et les illustrations sont belles! Très bon article d'histoire!

  • Mise au point précise , difficile à contester et dont nous remercions tous l'auteur .

  • Dirk évoque le terrible duc d' Albe grand décapiteur devant l' éternel : les comtes d' Egmont et de Hornes peuvent encore en témoigner post mortem .
    Il fallait en avoir dans le "pantalon" pour s'attaquer à ce monstre vu la répression qu' il menait contre les patriotes flamands .
    Le duc d' albe est aussi un peu d' amarrage .

  • Dirk,
    Me voila rassuree sur les origines "espagnoles" de ma grand mere, qui etait brune et avait un nom qui finissait en ez.... Elle etait bien de chez nous!
    Sans oublier les creneaux de la belle place d'Arras..qui ne doivent rien a l'influence etrangere.

  • trèsintéressant à lire, et juste pour dire qu'on récite encore de nos jours 't krachtige gebet à Looberghe

  • @magnier:
    Merci pour cette information que j'ignorais (Looberghe est un village de Flandre maritime, en France). Seul un Flamand du Westhoek peut savoir cela. Bienvenue sur ce blog !

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