Les turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil.
Chio, l’île des vins, n’est plus qu’un sombre écueil,
Chio, qu’ombrageaient les charmilles,
Chio, qui dans les flots reflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais, et le soir quelquefois
Un chœur dansant de jeunes filles.
Tout est désert. Mais non ; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus, un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée ;
Il avait pour asile, il avait pour appui
Une blanche aubépine, une fleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
Ah ! pauvre enfant, pieds nus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer les pleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l’onde,
Pour que dans leur azur, de larmes orageux,
Passe le vif éclair de la joie et des jeux,
Pour relever ta tête blonde,
Que veux-tu ? Bel enfant, que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment et gaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fer n’ont pas subi l’affront,
Et qui pleurent épars autour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
Qui pourrait dissiper tes chagrins nébuleux ?
Est-ce d’avoir ce lys, bleu comme tes yeux bleus,
Qui d’Iran borde le puits sombre ?
Ou le fruit du tuba, de cet arbre si grand,
Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
Veux-tu, pour me sourire, un bel oiseau des bois,
Qui chante avec un chant plus doux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit, ou l’oiseau merveilleux ?
– Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et des balles.
8-10 juillet 1828
Victor Hugo, Les Orientales
Commentaires
"je veux de la poudre et des balles " ,c est bien plus viril et sain , que des nounours en peluches , des slogans creux , et autres marches blanches .
c,était un enfant debout , maintenant nous avons des hommes couchés ou à genoux.
salutations.
Nous avons tous appris , tout au moins lu , ce beau poéme de Victor Hugo lorsque nous étions en 6éme ..., il est évident qu il est un symbole , un appel qui nous est fait pour les jours qui arrivent.....GAUTHIER MICHEL MARSEILLE 9
Ce célèbre poème aurait été inspiré à Victor Hugo par le tableau non moins célèbre de Delacroix, exprimant toute la souffrance des Grecs génocidés à Chio par les Turcs en 1822 (30 000 personnes égorgées et le reste de la population vendue comme esclaves). Les Turcs voulaient réprimer la revendication d’indépendance de cette île grecque. Ces massacres avaient plongé l’Europe dans l’horreur.
Hugo a le génie, en quelques vers, d’exprimer le contraste entre le caractère paradisiaque de cette île et la soudaine plongée dans l’horreur. L’enfant grec aux yeux bleus fait peu de cas des consolations prodiguées, et ne pense qu’à reconquérir la liberté pour son peuple.
Aujourd’hui, dans les mêmes situations, les jeunes hommes de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, etc…ne demandent pas de la poudre et des balles, mais les moyens de fuir au plus vite en Europe !…il est vrai qu'ils n'ont pas le vieux sang européen dans les veines !