Céline (à gauche), mai 1941
Par Thierry Clermont
Publié le 09/02/2017 à 08h19
Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff accusent Céline d'être un «agent nazi» et dénoncent le culte littéraire dont il fait l'objet. David Alliot, spécialiste de l'écrivain, réfute ces arguments.
Avant même sa sortie en librairie, le 6 février, l'ouvrage de près de 1200 pages intitulé Céline, la race, le Juif d'Annick Duraffour et de Pierre-André Taguieff (Fayard) a suscité la polémique. Les deux auteurs entendent démontrer que l'auteur du Voyage au bout de la nuit était un agent au service des nazis, qui a eu «une place déterminante dans l'histoire de l'antisémitisme à base racialiste et conspirationniste».
Des céliniens, Émile Brami dans L'Express, et François Gibault, exécuteur testamentaire de l'écrivain, dans Le Figaro Magazine, ont dénoncé un livre-réquisitoire et «une entreprise de démolition». Nous avons demandé à David Alliot, auteur du volumineux D'un Céline l'autre qui publiera par ailleurs Le Paris de Céline (Éditions Alexandrines) le 22 février, de lire et de commenter ce livre à charge - cet essai explosif.
Le lecteur qui, de bonne foi, entrerait dans les méandres de ce pavé de plus de mille pages (notes et index compris) en ressortirait tout retourné dans ses convictions littéraires. Céline est un être immonde, un antisémite furieux, un pamphlétaire qui écrit des romans (la nuance est de taille, seuls Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit trouvent grâce aux yeux des auteurs, le reste n'étant que propagande et justifications), un collaborateur notoire, un dénonciateur hideux, etc. Le tout, asséné avec force et moult citations et références. Au fil des nombreuses pages de ce réquisitoire, il n'y a aucune échappatoire possible, aucune nuance dans la démonstration, c'est d'un bloc, à prendre où à laisser.
Si l'habile introduction laisse espérer un livre de fond, traitant de ce sujet complexe avec subtilité et nuances, le lecteur sera rapidement détrompé. Très vite, ce brûlot devient une croisade contre Céline, son œuvre, et ses admirateurs, prêts à toutes les complaisances et autres compromissions pour excuser leur écrivain fétiche. Heureusement pour nous tous, Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour, seuls détenteurs de la Vérité, se proposent au fil des pages de sortir le lecteur de son ignorance, de le délivrer de sa cécité, ingénieusement entretenue par les «célinolâtres» de tous bords, et in fine leur indiquer la voie de la rédemption… La construction du livre est simple, les auteurs délivrent leur version des faits, l'intendance doit suivre, avec une mauvaise foi évidente, quitte à tricher avec la chronologie, ou, pire encore, avec la simple évidence. Et si les preuves manquent (il reste encore des zones d'ombre dans la vie de Céline…, de subtils sous-entendus paranoïaques compléteront le tableau dans le sens que l'on devine. Comme dirait tout un chacun: «Qui veut noyer son chien, l'accuse d'avoir la rage.»
Une charge éculée et fausse
Malheureusement pour les auteurs, cette démonstration de force ne résiste pas aux faits, qui, comme chacun sait, sont têtus. L'exemple le plus flagrant est celui du docteur Hogarth (dédicataire du livre) présenté comme un martyr, du fait de sa prétendue dénonciation par Céline, qui cherchait à prendre sa place de médecin chef du dispensaire de Bezons, sujet que nous avons traité longuement dans le passé (1). Malgré une chronologie en leur défaveur, les auteurs, contre toute évidence, persistent dans leur charge éculée et fausse. Révoqué en juillet 1940 par les lois de Vichy, le médecin haïtien ne sera remplacé par Céline qu'en octobre 1940. Si Céline a bien intrigué, et sans grande subtilité, auprès de ses «nouveaux amis» désormais au pouvoir depuis la débâcle de juin 1940, il n'est pour rien dans cette révocation, effective depuis plusieurs mois, et n'a nullement dénoncé le docteur, qui poursuivra sa vie à Bezons, pendant et après la guerre.
Parmi les accusations les plus graves des auteurs, celle qui ferait de Céline un agent du SD l'un des services de renseignement (SR) nazis. Pour étayer leurs dires, les auteurs se basent sur l'interrogatoire de Helmut Knochen, réalisé après la guerre par les Alliés. Quel crédit accorder à ces aveux tardifs? Nous l'ignorons. Toutefois, il aurait été honnête de la part des auteurs de citer également le témoignage de Roland Nosek, «le plus parisien des Allemands de la capitale», espion au service du SR des SS, qui déclare au sujet de Céline: «Je ne connais pas ce monsieur, mais j'ai souvent entendu parler de lui. Il était collaborationniste, mais je ne crois pas qu'il n'ait jamais travaillé pour nous ou un autre SR allemand» (2). Pourquoi les auteurs ont-ils passé sous silence ce témoignage qui contredit leurs affirmations. Il ne faut pas être grand clerc pour le deviner…
Le sommet de la mauvaise foi est atteint quand les auteurs chargent les céliniens (ces grands naïfs…) qui mettent trop en avant (au goût des auteurs…), les qualités humaines du docteur Destouches (p. 593). À cela, une note renvoie le lecteur à ces considérations hautement scientifiques: «Il paraît aussi que Hitler était très gentil avec son chien et les petits enfants…» (p. 1012) Pour les auteurs, l'équation est simple, puisque Céline, comme Hitler, aimait les enfants et les animaux, donc Céline est un nazi. CQFD.
Comme nous l'avons vu, les éléments qui remettent en cause la doxa des auteurs sont habilement passés sous silence. Pourquoi ces terribles accusations proférées par les auteurs ne figurent pas dans le dossier d'extradition de Céline, établi par le gouvernement français en 1945? Pourquoi, après la guerre, le docteur Hogarth n'a jamais porté plainte contre celui qui l'avait soi-disant «dénoncé»? Comment expliquer que la recherche sur Céline, dans son ensemble, et de loin, la plus dynamique des Lettres, a-t-elle pu se fourvoyer depuis plus de cinquante ans? À ces questions, il n'y aura pas de réponse.
On ne saurait nier l'immense tâche accomplie par les auteurs, qui ont passé au peigne fin plusieurs centaines d'ouvrages, et réalisé un colossal travail de rédaction, mais à sens unique. Sans nul doute, cette «somme» se vendra bien. Elle est dans l'air du temps. Les nombreux détracteurs de Céline y puiseront avec abondance tout le fiel nécessaire à leurs ratiocinations. Les céliniens, peut-être matière à réflexion (tout n'est pas à jeter dans ce livre). Ceux qui recherchent l'objectivité et la sincérité passeront leur chemin. L'ouvrage de référence, indiscutable et probe, sur Céline et l'antisémitisme reste encore à faire.
(1) «Céline à Bezons 1940-1944», Éditions du Rocher, 2008, coécrit avec Daniel Renard.
(2) «Un espion nazi à Paris. Interrogatoire du SS Roland Nosek», d'Olivier Pigoreau, Histoire et Collections, 2014, 251 pages.
«Céline, la race, le juif», d'Annick Duraffour et Pierre-André Taguieff, Fayard, 1 174 p., 35 €.
Cet article est publié dans l'édition du Figaro du 09/02/2017
Commentaires
je passe mon chemin, et continuerai à lire les ouvrages de feu ce grand auteur Français que fut Céline . .!!
salutations.
Nous sommes des dizaines de millions à souhaiter que Pierre-André Taguieff et Annick Duraffour après avoir sali la mémoire de Céline, vont s'occuper de Mitterrand et sa francisque. Puis de Polansky et sa pédophilie.
Cette polémique est éculée et n'ôtera rien au génie de Céline, que beaucoup considèrent comme le plus grand écrivain du siècle dernier.
Les 1200 pages de ces inquisiteurs sont dérisoires et n'affecteront pas la stature d'un génie qui les écrase à tout jamais de son style et de sa langue ! Les Céliniens n'en auront rien à f.., bien au contraire, ils imagineront sans peine la manière sarcastique et désopilante avec laquelle Céline les aurait massacrés !
La meilleure réponse est de lire et de relire Céline, y compris ses pamphlets les plus sulfureux (les meilleurs !).
Tiens, ce soir, je me replonge dans Bagatelles !
J'ai lu les 3 !
Mais oui, Céline était un espion nazi au service des Allemands, tout comme Aragon était un espion communiste au service des soviétiques !
" Annick Duraffour " attention aux dérapages !
Ils ont fait interdire la diffusion du feuilleton allemand " inspecteur Derrick " au prétexte que l ' acteur principal avait été à 17 ans dans un bataillon nazi.
Voudraient - ils faire interdire Celine ?
Ils ne supportent pas en réalité que des non élus aient plus de succès qu ' eux. Il s'agit de jalousie et de défense de leur monopole depuis 50 ans, bien immérité, sur le monde du spectacle et de la littérature.
Dans le prochain numéro du BULLETIN CELINIEN, Marc Laudelout
publiera une réplique à ce livre. Prix : 6 euros franco.
Ecrire au BULLETIN CELINIEN, c/o M. Laudelout, 139 rue Saint-Lambert, B.P. 77, BE 1200 Bruxelles.
L'abonnement coûte 56 € pour les onze numéros de l'année en cours.
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