Dans un exercice délicat de clarification de sa politique migratoire, le chef de l'Etat a tenté à la fois de rassurer les forces de l'ordre, les migrants et les associations qui les défendent... Tout en les mettant face à leurs responsabilités.
Articuler fermeté et réassurance, ne faire preuve d'aucune complaisance, que ce soit à l'égard des forces de l'ordre, des migrants et des associations de défense, tel était l'enjeu du discours fleuve (55 minutes) et parfois virulent d'Emmanuel Macron ce 16 janvier 2018 à Calais.
Sur fond de critiques de sa politique, le président a rappelé l'«effort historique», selon lui, fait par l'Etat pour trouver des solutions à la crise migratoire. «L'objectif, oui, il est bien d'accueillir tout le monde de manière inconditionnelle, de vérifier tout de suite, de pouvoir instruire rapidement [les demandes d'asiles], de protéger les uns, de raccompagner les autres», a-t-il martelé.
Deux milliards d'euros pour l'hébergement d'urgence
«Ce sont des êtres humains à qui nous avons ce devoir d'humanité», a encore rappelé Emmanuel Macron au sujet des migrants. «Il nous faut tout à la fois avoir cette humanité parce que ce sont des femmes et des hommes à qui nous la devons», a-t-il ajouté, annonçant que l'Etat prendrait en charge les distributions des repas jusque-là financées par les associations d'aide au migrants. Face aux critiques des défenseurs des migrants, Emmanuel Macron a dénoncé, sans ambages, des «contre-vérités».
«[Ceux qui] encouragent ces femmes et ces hommes à rester, à s'installer dans l'illégalité, voire à passer [au Royaume-Uni] prennent une responsabilité immense», a déploré le chef de l'Etat, invoquant plusieurs fois la «vérité» et dénonçant des «mensonges» propagés par les associations de défense. Aussi, Emmanuel Macron a-t-il fermement défendu son bilan humanitaire. «Depuis le mois de juillet dernier, nous avons poursuivi une ambition qui était inconnue jusque-là. 143 000 places financées par l'Etat sont ouvertes chaque nuit pour accueillir les personnes qui sont en détresse [...] nous avons consacré plus de deux milliards d'euros pour l'hébergement d'urgence», a-t-il ainsi rappelé.
Confiance mitigée à l'égard des forces de l'ordre
Quant aux forces de l'ordre, confrontées à l'insécurité dans la région de Calais, Emmanuel Macron s'est livré à l'exercice délicat consistant à les féliciter, tout en les mettant en garde contre les dérapages.
«Je ne peux pas laisser accréditer l'idée que les forces de l'ordre exercent des violences physiques, confisquent des effets personnels, réveillent les personnes en pleine nuit, utilisent des gaz lacrymogènes sur des points d'eau ou au moment de la distribution des repas», a-t-il asséné, devant les forces de l'ordre. Et le président de la République de marteler : «Si cela est fait, c'est contraire à toute déontologie. Si cela est fait et prouvé, cela sera sanctionné», précisant qu'une circulaire serait adressée aux préfets.
Calais est un défi pour la République
Pour autant, maniant la carotte et le bâton, Emmanuel Macron a dans le même temps, affirmé la confiance qu'il plaçait, dans les forces de l'ordre. «J'ai demandé au ministre de l'Intérieur au regard des conditions particulières de l'exercice de leur mission d'accorder cette année aux policiers et gendarmes affectés de manière permanente [à Calais] une prime exceptionnelle de résultats, vos missions et votre exemplarité sont indispensables», a-t-il annoncé, après ce rappel à l'ordre. «Calais est un défi pour la République mais Calais est une image pour la République», a conclu Emmanuel Macron, ne semblant pas craindre d'engager sa responsabilité sur ce dossier.
Ce long discours du président suffira-t-il à faire retomber les critiques visant la politique migratoire du gouvernement ? Entre la ligne dure portée par Gérard Collomb et la posture plus humanitaire d'Emmanuel Macron, la gestion de la crise migratoire suscite des réserves jusque dans le propre camp politique du président. Dans une tribune publiée dans Le Monde ce même jour, des syndicalistes et des intellectuels, comme l'économiste Jean Pisani-Ferry, jusque-là proches d'Emmanuel Macron, l'ont rappelé à sa promesse faite en juillet 2017, à Orléans, de ne plus laisser personne en France dormir «dans la rue, dans les bois».
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