"Un nazi collant", titrait hier matin le Tageszeitung, quotidien allemand de gauche. Le nazi, c’est Rudolf Hess, à l'effigie duquel la Deutsche Post a créé vingt timbres… sans le savoir. Le mensuel d’extrême droite Die Deutsche Stimme (La voix allemande) rapporte l’affaire dans son numéro de mai, pas peu fier que des partisans aient déjoué les contrôles de la poste pour célébrer à leur manière l’anniversaire de la naissance du dignitaire nazi.
Rudolf Hess fut un proche d’Hitler de la première heure, représentant du Führer dans les années 1930, avant de perdre son aura en 1941 lorsqu’il s'envola pour la Grande-Bretagne et fut aussitôt emprisonné. Lors des procès de Nuremberg, il fut condamné à la perpétuité. Il sera retrouvé pendu dans sa cellule de Spandau en 1987, après 41 ans de détention. Depuis l’extrême-droite allemande le considère comme un martyr. La prison de Spandau (Berlin-Ouest) a été entièrement rasée après la mort de son dernier occupant, Rudolf Hess, afin qu'elle ne devienne pas un "lieu de culte".
La poste ne s’attendait sûrement pas à ça lorsqu’elle a lancé en février dernier son tout nouveau produit, le "Plusbrief individuell" (enveloppes prétimbrées individuelles): depuis le site internet du groupe postal, chacun peut fabriquer un timbre à partir d’une photo. Un produit marketing "créatif et facile à utiliser", censé appâter le client dans un marché du courrier aux particuliers ouvert à la concurrence depuis 2008.
Goethe, Schiller, et maintenant… Hess!
Goethe, Schiller, et maintenant vous aussi: "concevez votre propre timbre" invite toujours le site. Sans se douter que cela fonctionnerait aussi pour les anciens dignitaires nazis. Hannes Natter, auteur de l’article paru dans la Deutsche Stimme, mensuel du parti néonazi allemand le NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands), ironise: "Peu avant le 114e anniversaire de la naissance du représentant d’Hitler Rudolf Hess le 26 avril, la Poste AG a imprimé un timbre avec son effigie"
Malaise chez les postiers... Dirk Klasen, attaché de presse de la Deutsche Post, ne peut que confirmer que "vingt lettres ‐c’est le nombre minimum pour une commande- ont bien été imprimées en mars 2008". Et d’enchaîner:
"Nous regrettons vivement ce qui a pu se passer et avons sensibilisé notre équipe de contrôle pour éviter que cela se reproduise à l’avenir."
La Deutsche Post a effectivement prévu un système de garde-fou en cas de client "spécial". Sont surveillées les images à caractère pornographique ou visant à la promotion des drogues, des armes, et des idées "extrémistes". S’agit-il d’une négligence? Les traits de Rudolf Hess n’évoquent-ils aujourd’hui plus rien? "Le contrôle ne peut pas être garanti à 100%", explique t-on simplement à la Poste.
Mauvaise passe pour la Poste
L’incident intervient alors qu’en Allemagne la question de l’interdiction du parti d’extrême droite du NPD, qui existe depuis 1964, est toujours en débat et que depuis quelques semaines une campagne d’affichage sauvage dans les quartiers est de Berlin stigmatise les visages de présumés néonazis.
Le cas n’est bien évidemment qu’anecdotique puisque seules vingt enveloppes prétimbrées (30 euros la vingtaine) ont été mises en circulation et qu’aucune inscription écrite ne vient rappeler à qui appartient ce regard perçant. Mais il est gênant que le logo du leader mondial de la logistique (Deutsche Post World Net dont la Deutsche Post AG est une filiale) apparaisse à côté du portrait du nazi. L’entreprise avait déjà fait déjà fait parler d’elle en février dernier lorsque son patron, Klaus Zumwinkel avait démissionné après avoir été mis en cause dans une affaire de fraude fiscale. Il était soupçonné d’avoir soustrait un million d’euros de ses revenus.
(Rue89 - 22 mai 2008)