Dès que la nuit tombe, armés de lances, de bâtons, de couteaux, parfois même d'armes à feu, des groupes se dispersent dans les bidonvilles de Johannesburg. Ils frappent aux portes, demandent l'identité de l'occupant. Il suffit d'un accent prononcé, d'une mauvaise maîtrise des langues locales pour que l'étranger ne puisse plus se cacher. Les portes alors sont défoncées, les occupants battus, parfois tués, des femmes violées.
Le scénario de cette chasse à l'homme est le même depuis une semaine dans plusieurs quartiers dans et autour de Johannesburg. Il a déjà fait près d'une vingtaine de morts, dont douze pour ce seul week-end, et plus de 3 000 sans-abri, réfugiés dans des commissariats, des centres communautaires ou des églises.
Les premiers incidents sérieux ont eu lieu à Alexandra, cité de misère au pied des buildings du quartier des affaires de Johannesburg. Des cabanes de fortune, faites d'amas de tôles, de caisses de bois, de plastique, s'étalent en pente douce, à perte de vue.
La cible : les étrangers, accusés de quasiment tous les maux du township. Ils seraient responsables du chômage, prendraient le travail des autochtones, seraient des gangsters, s'approprieraient indûment les logements sociaux construits par l'Etat : une litanie de reproches lancée par une population qui n'en peut plus de vivre dans la misère.
Deux personnes ont été tuées à Alexandra. Des centaines d'étrangers se sont réfugiés dans la cour du commissariat. La Croix-Rouge et Médecins sans frontières leur sont venus en aide.
RAFLER PUIS RECONDUIRE MASSIVEMENT
En début de semaine, Diepsloot, un autre township situé au nord de Johannesburg, s'est enflammé à son tour. Trois autres ont suivi et, samedi, le centre-ville s'est embrasé à son tour avec son lot de blessés, de maisons et de boutiques incendiées.
La police est intervenue partout. Mais les balles en caoutchouc, les gaz lacrymogènes ont bien du mal à disperser les foules en colère, qui se reforment rapidement en petits groupes pour poursuivre la chasse aux étrangers.
La plupart des victimes sont des immigrés clandestins venus du Zimbabwe, du Malawi ou du Mozambique. Ils seraient entre 3 millions et 5 millions dans le pays. Récemment, des centaines de milliers de Zimbabwéens sont arrivés en Afrique du Sud, fuyant la crise économique et politique sans précédent que traverse leur pays.
Le président sud-africain, Thabo Mbeki, refusant de reconnaître la gravité de la situation au Zimbabwe, n'a jamais traité avec attention le problème des migrants. La seule politique du gouvernement consiste à rafler puis à reconduire massivement les Zimbabwéens à la frontière.
Il est quasiment impossible pour un Zimbabwéen d'obtenir un statut de réfugié. Sans papiers, ils vivent dans la peur de la police et acceptent souvent des salaires inférieurs aux minima légaux.
Jacob Zuma, président de l'ANC, Nelson Mandela, son ex-épouse Winnie, qui s'est rendue à Alexandra, quasiment toute la classe politique a condamné ces attaques xénophobes. Alors que l'opposition demande le déploiement de l'armée et craint que la situation n'échappe à tout contrôle, on cherche "qui est derrière tout ça". La réponse tient en un mot: la pauvreté.
(Le Monde -19 mai 2008)
Une pauvreté effroyable malgré la fin de l'Apartheid... L'Afrique du Sud est en train de mourir tandis que des fortunes inavouables sont en train de s'édifier dans les luxueux "ghettos" des nouveaux riches.