A Caracas, l'une des villes les plus dangereuses au monde, les habitants ne savent plus à quel saint se vouer face à la criminalité galopante. Ils sont chaque jour plus nombreux à défiler sur les tombes de délinquants pour demander la protection des "saints des brigands".
"Il me protège. Je crois plus en lui qu'en les forces de sécurité. J'ai vu trop de crimes commis sous les yeux de la police sans qu'elle ne fasse rien", déclare Omar Alonso, devant la tombe recouverte de fleurs d'Ismael Sanchez, un délinquant décédé, dans un cimetière du sud de la capitale du Venezuela.
Au-dessus de son tombeau, trône une statuette de 80 centimètres représentant "Ismaelito" avec un pistolet à la ceinture, des lunettes dorées et une casquette sur le côté. Les gens l'embrassent avec dévotion et certains lui glissent même une cigarette entre les lèvres.
Ismael Sanchez est une des divinités les plus importantes de la "Corte malandra" (la cour des brigands).
Les esprits de ce groupe de voleurs morts il y a 40 ans sont vénérés dans le cadre du culte à Maria Lionza, l'un des exemples les plus frappants du syncrétisme religieux en vigueur dans ce pays majoritairement catholique.
Ce regain des croyances populaires s'explique par l'ampleur de l'insécurité, devenue la principale préoccupation des Vénézuéliens.
A Caracas, une cinquantaine de personnes décèdent de mort violente chaque week-end et le nombre d'assassinats a dépassé les 16.000 dans l'ensemble du pays sud-américain en 2009, selon des chiffres officieux, qui font du Venezuela le pays le plus violent de la région.
En outre, plus de 91% des assassinats commis sont restés impunis, selon l'Observatoire vénézuélien de la violence, une organisation non gouvernementale.
Le gouvernement, lui, ne publie plus de chiffres officiels, mais ces statistiques nuisent fortement à la popularité du président socialiste Hugo Chavez, à deux mois d'élections législatives lors desquelles il redoute le réveil de l'opposition, qui avait boycotté le précédent scrutin en 2005.
Le chef de l'Etat a bien pris des mesures pour augmenter l'efficacité de la police, mais la violence ne faiblit pas, selon les chiffres officieux, et la population se méfie des forces de l'ordre.
"Maintenant, le délinquant, c'est le policier. Je n'ai pas confiance en eux car il y a trop de corruption et le gouvernement ne sert à rien. Mais ces saints ne m'ont jamais laissé mourir", affirme Jenny Lameda, adepte du spiritisme qui dit entrer en contact avec les esprits de la "corte".
Il est souvent difficile de démêler le mythe de la réalité au sujet d'"Ismaelito" et de ses compères, mais une chose est sûre, le nombre de visiteurs sur leurs tombes ne cesse d'augmenter selon les employés du cimetière.
Ils viennent demander une protection ou un "coup de main" avant de commettre un crime, remercier les "saints" pour la libération d'un être cher emprisonné ou pour avoir gagné à la loterie.
"De nombreuses personnes rejoignent le culte, mais certaines sont mal orientées et viennent demander n'importe quoi", regrette Omar Alonson, selon qui ces bandits étaient des sortes de Robin des Bois qui volaient les riches pour donner aux pauvres.
Certains visiteurs entrent en transe devant les tombes, d'autres disent entendre des messages, mais la majorité assure ressentir une forme de sérénité, que l'Etat est incapable de leur fournir.
Par Beatriz LECUMBERRI
Les Echos - 31/07/10