Dans le monde Chrétien les accusations les plus graves, celles de déïcide et de perfidie, ont diabolisé les juifs conduisant aux catastrophes que l’on sait, des expulsions à la Shoa en passant par l’inquisition, les pogromes, les conversions forcées, etc. Ces accusations ont été profondément ancrées dans les esprits chrétiens, jour après jour, vendredi saint après vendredi saint, siècle après siècle au travers de ce que Jules Isaac a appelé « l’enseignement du mépris ». Ces accusations, martelées dans les consciences chrétiennes depuis leur plus jeune âge au point de devenir des « vérités inconscientes », ressurgissaient à la faveur de crises économique, financière ou politique dans lesquelles il était dès lors facile aux élites politico-religieuses de présenter les juifs comme coupables de ces crises et d’en faire les boucs émissaires. Cette « déshumanisation religieuse préalable des Juifs » constituait alors un véritable « permis de tuer » y compris les femmes, les enfants et les vieillards juifs …
Imaginez en effet ce qu’il pouvait y avoir dans la tête d’un chrétien à qui l’on avait enseigné tout jeune enfant que les Juifs avaient tué le … (petit) Jésus, fils de dieu et dieu lui-même ? Que le Juif « Judas » avait trahi et livré Jésus pour … 30 deniers (Évangiles) », que les juifs s’étaient eux-mêmes condamnés éternellement à l’errance et à l’exil en s’écriant devant Pilate « que son sang (du Christ) retombe sur nous et… sur nos enfants » (Évangile de Matthieu) ? Que « ce sont les Juifs qui ont fait mourir le Seigneur Jésus et les prophètes, qui nous ont persécutés, qui ne plaisent point à Dieu, et qui sont ennemis de tous les hommes » (Épitre de Paul aux Thessaloniciens) ? Etc.
Un pape, Jean XXIII, a eu le courage de se lever face à ses frères et a dénoncé et rejeté devant le monde entier ces principales accusations lors du concile Vatican II. Tout n’est pas réglé bien sûr, mais on peut dire que la « diabolisation » des Juifs et « l’enseignement du mépris » ont considérablement régressé dans les états européens.
Qu’en est-il dans le monde musulman ? Celui-ci est aujourd'hui travaillé par un antisémitisme inquiétant, voire stupéfiant. La haine des Juifs s’affiche ouvertement dans les médias. Les Protocole des Sages de Sion en est l’un des vecteurs ainsi que les accusations de crimes rituels et de meurtres d’enfants. Les juifs sont, là aussi, « déshumanisés » et présentés comme des singes et des porcs. Le négationnisme est devenu officiel dans des pays comme l’Iran. Un Mohamed Merah tue en France des enfants juifs, parce que juifs. Les Chrétiens et les infidèles ne sont pas épargnés puisqu’au nom de l’Islam, un Mohamed Atta tue des milliers d’innocents en projetant un avion sur le World Trade Center, etc.
Force est de constater que si les conflits proche-orientaux consécutifs à l’effondrement de l’Empire ottoman ont ravivé des tensions ils ne peuvent pas à eux seuls expliquer cette haine anti-juive et cette haine de l’occident, chrétien ou infidèle. L’inconscient des musulmans depuis 14 siècles s’est forgé sur une profonde dévalorisation des deux religions antérieures qui lui ont donné naissance, le Judaïsme et le Christianisme. On trouve de nombreux préjugés antijuifs dans les sources musulmanes classiques post-coraniques tels les Hadiths et la Sirâ. C’est dans les Hadiths que sont décrits les « exploits » du prophète qui a, entre autres, massacré et fait … massacrer les Juifs de Médine ! Pour Salam Elmenyawi, président du Conseil musulman de Montréal, « dans la littérature des Hadiths […] pleinement intégrée par les musulmans dans l’enseignement islamique, le juif ne peut être respecté, le juif est l’ennemi de Dieu jusqu’à la fin des temps. Toutefois si certaines « élites musulmanes » reconnaissent ces préjugés issus de textes ou de traditions post-coraniques, elles exonèrent en général totalement le Coran qu’elles considèrent comme un livre de paix qui respecte Judaïsme et Christianisme. Le Coran, parole de dieu, est supposé exempt de préjugés contrairement aux constructions humaines que sont les Hadiths et la Sirâ.
Mais le Coran respecte-t-il vraiment Judaïsme et Christianisme? Difficile à croire ! La lecture du Coran montre de (très) nombreux versets, fort peu respectueux voire fort violents. En voici trois qui me semblent peu éloignés des accusations de déïcide et de perfidie de l’église : Sourate V,85 : Tu reconnaîtras que ceux qui nourrissent la haine la plus violente contre les fidèles sont les Juifs et les idolâtres. Sourate VI, 147 : Pour les Juifs, nous leur avons interdit tous les animaux qui n’ont pas la corne du pied fendue… (et d’autres aliments), c’est pour les punir de leurs iniquités. Nous sommes équitables. Sourate IX, 29 : Faites la guerre à ceux qui ne croient point en Dieu ni au jour dernier, qui ne regardent point comme défendu ce que Dieu et son apôtre ont défendu, et à ceux d’entre les hommes des écritures (juifs et chrétiens) qui ne professent pas la vraie religion. Faites-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils payent le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient soumis.
Comment donc peut réagir, à la faveur d’une crise, un jeune musulman de 20 ans qui depuis son tout jeune âge n’a entendu de ses enseignants (civils et religieux) que des mots de mépris et de haine vis-à-vis des juifs? La réponse est simple : comme Mohamed Atta ou comme Mohamed Merah! C’est-à-dire en tuant … même des enfants.
Le mécanisme est semblable à celui qui a précédé la Shoah à savoir : 1. Déshumanisation religieuse et spirituelle des juifs (via l’enseignement du mépris) et déshumanisation physique (race inférieure, singes, porcs) 2 Crise économique, politique ou financière 3. Désignation par les élites politico-religieuses des Juifs comme boucs émissaires de ces crises 4. Passage à l’acte des plus extrémistes avec … absence de réaction de la grande majorité dite silencieuse marquée elle aussi par cet enseignement du mépris 5. Tragédie…
Que faire? C’est un véritable «programme de réhabilitation des Juifs (ainsi que des chrétiens et des athées et j’ajouterais des femmes considérées comme inférieures)» dans l’imaginaire musulman qu’il faut construire en séparant clairement le conflit israélo-palestinien (dispute de territoires) et les rapports judéo-christiano-musulmans (dispute de suprématie religieuse). Comme il y a eu Vatican 2 qui a réhabilité les juifs dans l’esprit du monde chrétien, il faudrait une sorte de « La Mecque 2 » pour réhabiliter les Juifs et les Chrétiens dans les esprits musulmans.
Qui doit agir? À l’image d’un Jean XXIII qui a provoqué Vatican II et supprimé toute accusation de déicide et de perfidie, c’est aux dignitaires religieux et éducateurs musulmans de prendre conscience de la nécessité de supprimer toute référence religieuse négative à l’encontre des Juifs dans la tradition musulmane et de renoncer aux interprétations extrémistes guerrières du Coran visant à dominer, soumettre sinon convertir les Juifs, les Chrétiens et les infidèles à la… vraie religion! C’est à ceux dont on dit qu’ils constituent «l’immense majorité silencieuse modérée», de provoquer ce choc des esprits, en déclarant d’une voix forte que Juifs, Chrétiens, infidèles, athées, sont éminemment respectables tout autant que les Musulmans. De déclarer d’une voix forte que femmes et hommes sont égaux en droit. De déclarer d’une voix forte que la vie de tout être humain est le bien le plus précieux de l’humanité.
Imams, ulemas, ayatollahs, mollahs ont cette noble (et immense) tâche à accomplir s’ils veulent montrer au monde que l’Islam est une religion de justice et de paix.
Gérard Veillard
PS : Je viens d’apprendre qu’une délégation de 10 Imams de France se rend ce en Israël et dans les territoires Palestiniens. Le but est de déconnecter le conflit Israélo-Palestinien des aspects religieux Juifs et Musulmans. C’est un premier pas très important et une espérance. Mais il faudra que les religieux musulmans aillent (beaucoup) plus loin dans le respect du Judaïsme et des Juifs et qu’ils « osent réformer » certaines … « traditions violentes » à l’image de Vatican II.