
Tournons-nous vers l’Antiquité. Elle a toujours à nous apprendre. Et d’abord que les Romains votaient, comme nous, pour élire leurs magistrats, édiles, sénateurs, tribuns de la plèbe, duumvirs, membres de la Curie, dès la période républicaine et bien après. Autant dire qu’ils connaissaient déjà les campagnes électorales – bien différentes, toutefois, de celles qui nous mettent périodiquement en transe.
Pas de partis, pas de programmes. Pas de promesses hasardeuses. On vote pour celui que l’on juge le plus capable de remplir la fonction. Pour celui qui semble le plus honnête. Une fois établie la liste officielle des candidats, la campagne commence. Elle dure souvent plusieurs mois, suscite les passions, mobilise les « supporters » les plus frénétiques, soucieux de communiquer leur enthousiasme. Parmi eux, beaucoup de femmes qui, pour n’avoir pas le droit de vote, n’en sont pas moins influentes.
Un témoignage sur ces épisodes de la vie politique nous est fourni par les inscriptions retrouvées sur les murs de Pompéi. Relevées par de savants épigraphistes, archéologues, historiens, soigneusement classifiées, datées, traduites, elles se révèlent précieuses pour la connaissance des moeurs antiques.
Un petit livre remarquablement documenté, vivant et drôle, nous fait pénétrer au cœur même de l’effervescence politique telle qu’elle se manifestait au pied du Vésuve. Fièvre électorale à Pompéi (1) de Karl-Wilhelm Weeber, universitaire allemand, présente un catalogue d’inscriptions par lesquelles les voisins, les amis, exhortent leurs concitoyens à élire tel ou tel candidat. Pas ou peu d’argumentation, surtout des injonctions. Juste quelques exemples : « Gnaeus Helvius Sabinus édile ! Loreius, va donc voter pour lui, c’est un homme intègre – et il ira voter pour toi. » Ou encore : « Bruttius Balbus duumvir ! Génialis demande de voter pour lui. Il ne dilapidera pas le trésor municipal. » Enfin, « Vettius Firmus édile ! Marchands de fruits, allez donc voter pour lui ! » D’autres, encore plus cocasses.
Les commentaires de K.-W. Weeber se caractérisent par le sérieux qu’on attend d’un professeur, allemand de surcroît. Clairs et alertes, ils sont toutefois accessibles à tous et ont le mérite de restituer à l’histoire antique, austère, figée dans les manuels, les couleurs de la vie.
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Chez le même éditeur, un autre ouvrage qui nous fait pénétrer, narines grandes ouvertes, dans l’univers quotidien des Grecs et des Latins. Deux spécialistes d’histoire ancienne, Lydie Bodiou et Véronique Mehl, ont rassemblé, dans Odeurs antiques (2), une centaine de textes qui couvrent une vaste période, d’Homère aux Ve et VIe siècles après J.-C. Certains connus, d’autres que l’on découvre, tous surprenants ou pittoresques, témoignent de l’importance du parfum dans un monde où le paraître est primordial.
Les odeurs, naturelles ou artificielles, bonnes ou mauvaises, jouent en effet un rôle éminent dans tous les domaines de la vie. Offrandes aux dieux, mariages, morts, parures corporelles des femmes mais aussi des hommes, éléments constitutifs de la cuisine et du banquet aussi bien que de la pharmacopée, les parfums, onguents, huiles parfumées ne sont pas seulement des artifices. Leur fonction est essentielle en ce qu’ils dévoilent aussi bien les rituels sociaux et culturels que la vie intime.
Nous suivons, au fil des extraits, aussi bien les constantes dans l’utilisation que les évolutions dans la fabrication, ces dernières dues à l’arrivée de nouveaux produits lors de l’époque d’Alexandre et des rois hellénistiques, puis de l’empire romain. Un voyage passionnant.
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On ne quittera pas le domaine de l’histoire ancienne sans jeter un œil à Naissance des écritures (3), que Michel Renouard publie aux éditions Ouest-France. Ce qu’il est convenu d’appeler un « beau livre », tant en raison de la qualité du texte que d’une iconographie aussi abondante que somptueuse.
Y sont abordées toutes les questions relatives à l’écriture : quand est-elle apparue et où ? Pourquoi ici et pas ailleurs ? Comment expliquer que de brillantes civilisations l’aient ignorée ? Quels rapports entretient-elle avec les religions ? Certains écrits attendent-ils toujours d’être décryptés ? Autant d’interrogations, parmi d’autres, auxquelles l’auteur répond avec précision et concision. « Même aujourd’hui, assure-t-il, il naît de nouvelles écritures (…) [mais] c’est toujours une écriture de seconde main, la simple reprise d’un modèle matriciel apparu en Orient il y a quelques millénaires, dans cet Orient où s’est épanoui l’alphabet, notre alphabet. »
P.-L. MOUDENC
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1 – Fièvre électorale à Pompéi, de Karl-Wilhelm Weeber, traduit de l’allemand par Hélène Feydy. Les Belles Lettres, 158 p., 13,50 €.
2 – Odeurs antiques, textes réunis et présentés par Lydie Bodiou et Véronique Mehl, précédé d’un entretien avec Pierre Bergé. Les Belles Lettres, coll. « Signets », 302 p., 13,50 €.
3 – Naissance des écritures, de Michel Renouard, préface de Marie-Hélène Pottier. Editions Ouest-France, 128 p., 17,90 €.